|
SCHULMEISTER
(CHARLES), l'un des agents de police les plus habiles qu'ait eus
Napoléon, prit une grande part aux intrigues qui, dans beaucoup
d'occasions et surtout en Allemagne, accompagnèrent ses victoires.
Né en Alsace, le 13 août 1770, il était fils
d'un sous-intendant, qui le fit entrer à quinze ans, comme
cadet, dans les hussards de Conflans ; mais il quitta presque aussitôt
le service pour achever ses études, et, en 1788, il devint
actuaire au bailliage de Kork, sorte de secrétaire chargé
de dresser les actes publics. Cet emploi ne pouvant convenir à
son activité turbulente, il le garda peu de temps et se livra
à l'agriculture. En 1792, il épousa la fille du directeur
des mines de Ste-Marie, et, quelques années après,
profitant du désordre qui régnait en France, il se
mit à faire la contrebande, industrie dangereuse, mais lucrative,
qu'il exerça bientôt sur une grande échelle.
Lui-même ne cachait pas que, avant d'être observateur
militaire, il avait été chef de contrebandiers, et
il disait que la contrebande et la police se ressemblent beaucoup.
A ce métier périlleux il posa les premières
bases d'une fortune qui, par des moyens aussi peu honorables, devait
s'accroître considérablement dans la suite. En 1800,
il alla à Strasbourg établir une manufacture ; mais
il est à croire que le commerce ne l'absorba pas assez pour
qu'il ne pût déjà s'occuper d'espionnage en
Allemagne et sur le Rhin. Ce ne fut néanmoins qu'au commencement
de l'empire qu'on le vit s'y livrer d'une manière exclusive.
Venu à Paris en 1804, il fut présenté par l'aide
de camp Rapp, son compatriote, à Napoléon, qui lui
conféra un grade dans l'armée et l'attacha à
Savary, dès lors suprême directeur de la police militaire.
Cette faveur nous paraît la preuve évidente que déjà
il avait eu occasion de montrer son intelligence en cette matière.
Napoléon aimait surtout les caractères fins et rusés,
les dévouements aveugles, et Schulmeister, réunissant
au plus haut degré ces deux avantages, fut dès ce
moment le plus habile et le plus discret agent de sa police. Il
serait impossible de dire toutes les missions de confiance dont
il fut chargé, parce qu'elles furent toujours très
secrètes. La nature de celle qu'il remplit, à l'ouverture
de la campagne de 1805, auprès de Mack, assiégé
dans Ulm, est restée inconnue ; on sait seulement qu'il pénétra
dans la place par une poterne, sous un déguisement, et qu'il
eut plusieurs conférences avec le général autrichien,
lesquelles contribuèrent beaucoup à l'inexplicable
capitulation. Là, certainement, ne dut pas se borner son
action sur l'armée autrichienne, dont il parlait parfaitement
la langue. « Chargé de remettre une lettre à
un personnage important, dit Cadet-Gassicourt dans son Voyage
en Autriche, Schulmeister passa chez l'ennemi comme bijoutier,
muni d'excellents passeports et portant avec lui une riche collection
de diamants et de bijoux ; mais il fut vendu, arrêté
et fouillé. Sa lettre était dans le double fond d'une
boîte d'or. On la trouva et on eut la sottise de la lire tout
haut devant lui. Jugé et condamné à mort, il
fut livré aux soldats qui devaient l'exécuter ; mais
il était nuit et l'on remit son supplice au lendemain. Alors
il reconnaît, parmi ceux qui le gardent, un déserteur
français, cause avec lui, le séduit par l'appât
du gain, fait venir du vin, boit avec son escorte, glisse de l'opium
dans la boisson, enivre ses gardes, prend un de leurs habits, s'échappe
avec le Français, et, avant de rentrer, trouve le moyen de
prévenir celui pour qui était la lettre saisie, de
ce qu'elle contenait et de ce qui lui était arrivé.
« Ce récit a un peu l'air d'un roman, ajoute
Cadet-Gassicourt ; il m'a été attesté par
vingt officiers supérieurs, qui reconnaissent que, dans ce
genre, on n'avait jamais trouvé un homme plus adroit.
» Nous ignorons si tous ces détails sont exacts; mais
ce qui est sûr, c'est que, fait prisonnier par les Autrichiens,
Schulmeister parvint à s'échapper. Après la
prise de Vienne, Napoléon le nomma commissaire général
de la police de cette capitale, et on lui doit cette justice, qu'il
sut y maintenir la tranquillité et le bon ordre durant toute
l'occupation, bien qu'il n'eût à sa disposition que
trente-quatre gendarmes d'élite. Il est vrai qu'il inspirait
une grande terreur aux habitants de cette paisible cité.
Après la paix de Presbourg, il se retira dans son domaine
de Meinau, près de Strasbourg ; mais la campagne de Prusse
le rappela bientôt à l'armée, et ce fut sans
doute pour mieux observer et mieux agir qu'il reçut le commandement
d'un petit corps d'avant-garde, formé d'une partie du 1er
de hussards et du 7e de chasseurs à cheval. Après
la bataille de Warren, dans le Mecklenbourg, où il assista,
il reçut l'ordre de poursuivre le général Usedom,
puis de s'emparer de Wismar. La manière dont il prit cette
ville mérite d'être racontée. Escorté
de sept hommes, il s'avance au milieu de la nuit, surprend le poste
qui gardait la porte, le désarme, contraint à se rendre
quinze officiers et quelques centaines de Prussiens, qui formaient
la garnison, et Wismar est en son pouvoir. Attaqué par un
escadron de hussards, lui et ses sept hommes le repoussent et font
prisonniers le commandant et 20 soldats. Le lendemain matin, Savary,
à la tête de 50 hommes de cavalerie, marche contre
le corps d'Usedom, fort de 3.000 hommes, avec une bonne artillerie,
et ce général met bas les armes presque sans combattre.
De Wismar, Schulmeister s'avance sur Rostock, suivi de 23 hussards
; il en prend possession et s'empare de 18 navires qui se trouvaient
dans le port. Ces avantages presque incroyables furent dus plus
encore aux habiles séductions de cet homme qu'à sa
valeur militaire. On sait que dans cette rapide campagne, comme
dans celle d'Autriche, l'art de la guerre n'assura pas seul la victoire,
et que la reddition des principales places de la monarchie prussienne
ne fut pas moins le résultat des négociations secrètes
que de la force des armes. Schulmeister contribua beaucoup à
ce genre de succès. Il fut ensuite envoyé au siège
de Dantzig, et, après la capitulation de cette ville, il
vint rejoindre la grande armée au moment où s'ouvrait
la seconde campagne de Pologne. Il assista aux batailles d'Heilsberg
et de Friedland avec les fusiliers de la garde, sous le commandement
de Savary, qui dès lors était son véritable
chef sous tous les rapports. Le lendemain de l'occupation de Kœnigsberg
(16 juin 1807), il en fut nommé commissaire général,
fonctions qu'il remplit jusqu'à la paix de Tilsitt. L'année
suivante, à l'entrevue d'Erfurt, il fut chargé de
diriger la police et de veiller à la sûreté
des deux souverains. Durant la campagne de 1809, il continua d'être
employé comme militaire et comme homme de police. On sait
que les négociations secrètes ne furent pas plus négligées
dans cette guerre que dans les précédentes. La trahison
du commissaire général de l'armée autrichienne,
Paffbender, chargé de pourvoir à la nourriture et
à l'entretien des troupes, en est un irrécusable témoignage
(1). Ces sortes de services n'empêchèrent pas Schulmeister
de se distinguer dans plusieurs combats, et particulièrement
à Landshut, où il pénétra un des premiers
à la tète des grenadiers du 17e de ligne, en traversant
l'Iser sur un pont embrasé. Après la reddition de
Vienne, la police lui en fut une seconde fois confiée, et
il montra encore dans ce poste difficile autant de sagesse que de
modération. A la paix de Vienne, il affecta de renoncer au
métier qu'il exerçait depuis cinq ans, et auquel il
avait gagné quarante mille francs de rentes. Désormais
retiré à Strasbourg, il ne se mêla, du moins
ostensiblement, à aucun des faits ultérieurs de l'empire.
Cependant, propriétaire de plusieurs manufactures, il put
bien, sous prétexte de voyager pour ses propres affaires,
accepter quelques missions de confiance. Une chose certaine, c'est
que sous la première restauration il travailla au triomphe
du complot qui avait pour but le retour de Napoléon. Ayant
établi le centre de ses opérations dans les départements
du Rhin, il faisait parvenir à l'Ile d'Elbe les observations
qu'il recueillait et les résultats de ses manœuvres. Aussi,
après le 20 mars, son dévouement trouva sa récompense,
et il reçut encore diverses missions importantes, dont il
s'acquitta avec son intelligence et son zèle habituels. Ces
nouveaux services appelèrent sur lui l'attention des alliés
en 1815 ; son nom était bien connu en Allemagne, et Blücher
résolut de le faire arrêter. Le 27 juillet, il se rendait
à une terre qu'il possédait sur la route de Vincennes,
lorsqu'un piquet de cavalerie prussienne s'empara de sa personne,
feignant de le prendre pour le général Vandamme. Dans
cette croyance, il se laissa mener à Charonne, auprès
du général Kleist, disant qu'il lui serait facile
de prouver qu'il y avait erreur. Une fois là, on lui apprit
qu'on savait parfaitement qui il était, et qu'on avait ordre
de le conduire à Wesel. Ce fut sans doute une violation du
droit des gens ; mais qu'est-ce que le droit en présence
de la force ? A son arrivée dans cette forteresse, on commença
d'instruire son procès, et, après quelques mois de
détention, on le mit en liberté. Ce parti était
le plus sage. Le gouvernement prussien se contenta d'une foule de
renseignements secrets sur les hommes et les choses que lui fournit
cette instruction judiciaire. Schulmeister revint alors à
Paris, où il vécut dans une retraite fort douce, partageant
ses loisirs entre la capitale, la campagne et Strasbourg. Possesseur
d'une grande fortune, il donna des fêtes somptueuses dans
sa belle habitation de Boissy-St-Léger. C'est là qu'il
mourut en 1846, très regretté des pauvres, auxquels
il distribuait de nombreuses aumônes. Nous ne pouvons mieux
faire connaître ce personnage extraordinaire qu'en donnant
le portrait qu'en a tracé Cadet-Gassicourt : « D'une
intrépidité rare, d'une présence d'esprit imperturbable
et d'une finesse prodigieuse, il a l'œil vif, le regard pénétrant,
l'air sévère et résolu, les mouvements brusques,
l'organe sonore et ferme ; sa taille est moyenne, mais il est robuste.
Il connaît l'Autriche parfaitement et dessine de main de maître
le portrait des individus qui y jouent un grand rôle. Il porte
au front de profondes cicatrices, qui prouvent qu'il n'a point reculé
dans les occasions critiques. » C—H—N. |
|
Cadet
de Gassicourt
|
|