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SAVARY
(Anne-Jean-Marie), duc de Rovigo, ministre de la police générale
sous le premier empire, naquit le 26 avril 1774, à Marc (Ardennes).
Il était le troisième fils d'un vieux militaire, qui
en 1789 le fit admettre comme sous-lieutenant dans un régiment
d'infanterie. En 1793 il était déjà capitaine ;
et il fit ensuite les campagnes du Rhin sous les ordres de Custine,
de Pichegru et de Moreau. Après le traité de Campo-Formio,
il s'attacha comme aide de camp à Desaix, qu'il acompagna
en Égypte et qu'il ne quitta plus jusqu'au moment de sa mort,
sur le champ de bataille de Marengo. Bonaparte apprit de lui la
perte cruelle que venait de faire l'armée française.
Frappé de la profonde douleur de Savary, il résolut
d'attacher désormais à sa personne un officier capable
d'aimer et d'apprécier son général comme le
prouvaient bien ses larmes, ses sanglots en lui annonçant
la fatale nouvelle. Aide de camp de Bonaparte, Savary fut chargé
par lui de diverses missions qui demandaient de l'intelligence et
de l'adresse. Il fut bientôt nommé colonel et commandant
de la gendarmerie d'élite, puis général de
brigade ; et lors de la découverte de la conspiration
de Georges Cadoudal, il rendit d'importants services. A partir de
1802 ce fut lui qui dirigea la police particulière et de
sûreté de Bonaparte ; fonctions délicates,
dans l'exercice desquelles il avait à surveiller les manœuvres
de Fouché lui-même, et qui devaient infailliblement
soulever contre lui des haines aussi violentes que vivaces. Il n'est
pas de calomnies atroces auxquelles les partis royaliste et républicain,
alors coalisés afin de renverser le gouvernement de Bonaparte,
n'aient eu recours pour perdre dans l'opinion l'un des hommes qu'ils
redoutaient le plus, en raison sans doute de la vigilance et de
la finesse d'esprit dont il faisait incessamment preuve. C'est ainsi
qu'ils répandirent le bruit et firent même imprimer
dans les gazettes étrangères que, véritable
séide du premier consul, Savary n'avait pas hésité
à poignarder de sa propre main dans leur prison le capitaine
anglais Wright et Pichegru. Bientôt la fatale catastrophe
du duc d'Enghien vint fournir un nouveau prétexte à
ces perfides manœuvres des ennemis du régime consulaire.
Savary, chargé du commandement supérieur des forces
envoyées alors à Vincennes, dut assister à
l'exécution par laquelle se termina, dans les fossés
du château, un procès qui pèsera toujours comme
un crime sur la mémoire de Napoléon. La calomnie et
le savoir-faire des partis exploitèrent cette circonstance
avec une grande perfidie ; et le bruit se répandit aussitôt
que Savary avait attaché une lanterne à la poitrine
du prince, afin que les soldats chargés de le fusiller pussent
viser... Est-il besoin de dire que ce n'était là encore
qu'une de ces atroces inventions que les partis regardent comme
parfaitement permises par les intérêts de la politique.
A peu de temps de là Savary passa général de
division. En 1805, après la bataille d'Austerlitz, Napoléon
lui confia une mission secrète auprès de l'empereur
de Russie. Dans la campagne de 1806, il eut sous ses ordres deux
régiments de la garde. Puis il fut appelé à
remplacer Lannes dans le commandement du cinquième corps.
Après la bataille d'Eylau, il fut chargé de couvrir
Varsovie contre les Russes, sur lesquels, le 18 février 1807,
il remporta la brillante victoire d'Ostrolenka. L'empereur l'en
récompensa par le don d'une riche dotation, et à la
suite des batailles de Heilsberg et de Friedland, il lui accorda
le titre de duc de Rovigo.
Après la paix de Tilsitt, le duc de Rovigo fut envoyé
à Saint-Pétersbourg, où il négocia un
rapprochement entre la Russie et la Turquie, en même temps
qu'il déterminait la première de ces puissances à
abandonner l'alliance anglaise. En 1808 il se trouvait à
Madrid, et ce fut lui qui décida le roi Charles IV et son
fils Ferdinand à entreprendre le voyage de Bayonne. Il accompagna
ensuite Napoléon à Erfurt, d'où il retourna
en Espagne. Après la campagne de 1809, sa faveur s'accrut
encore ; et en 1810 Napoléon lui confia le ministère
de la police générale. Il remplissait ces fonctions
en 1812 quand éclata la fameuse conspiration de Mallet. Arrêté
alors dans son lit par Lahorie et Guidal, il resta quelques heures
détenu à La Force, et ne fut remis en liberté
que lorsque par son intrépidité le général
Hulin eut fait échouer ce complot. Quoiqu'il se fût
évidemment laissé prendre en défaut, le duc
de Rovigo n'en conserva pas moins la confiance de l'empereur, qui
le maintint en fonctions tant que dura l'empire.
Pendant les cent jours, il fut appelé à faire partie
de la chambre des pairs et investi du commandement supérieur
de la gendarmerie. Après Waterloo, il essaya de suivre Napoléon
en exil; mais il fut arrêté à bord du Bellérophon
et conduit prisonnier à Malte. Il s'en échappa au
mois de mars de l'année suivante, et se réfugia à
Smyrne. En 1817 il se rendit en Autriche pour passer de là
en France, à l'effet d'y purger le jugement du conseil de
guerre qui, en 1816, l'avait condamné par contumace à
la peine de mort. Arrivé à Graetz, il se vit placer
sous la surveillance de la police ; et ce ne fut qu'au mois
de juin 1818 qu'on lui permit de s'en retourner à Smyrne,
où il demanda au commerce des moyens temporaires d'existence.
Mais dès 1819 le désir de revoir le sol natal le conduisait
à Londres, où il obtint enfin la permission de se
présenter devant la justice de son pays. Acquitté
sur une brillante plaidoirie de M. Dupin, il fut réintégré
dans son grade, mais resta en disponibilité.
En 1823, pour réfuter un passage du Mémorial de Sainte-Hélène,
relatif à la mort du duc d'Enghien, il publia un extrait
de ses Mémoires, où il s'efforçait d'en rejeter
toute la responsabilité sur M. de Talleyrand, et ne réussit
qu'à tomber de nouveau dans la plus profonde disgrâce
aux Tuileries, où il avait fini par se faire admettre et
dont l'accès lui fut désormais interdit. Il quitta
même alors la France avec sa famille, pour aller s'établir
à Rome, où il demeura jusqu'à l'époque
de la révolution de 1830. Le 1er décembre 1831, Louis-Philippe
l'appela au commandement supérieur de l'Algérie. C'est
sous ses ordres que fut exécutée la prise de Bone,
et il s'efforça de favoriser le système de colonisation.
Mais son administration, au total malhabile, excita contre lui un
mécontentement général, et le gouvernement
dut le rappeler en 1833. Il mourut quelques mois après, laissant
sans fortune sa nombreuse famille.
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