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MOURAD-BEY,
chef célèbre des mameluks, né en Circassie,
vers 1750. Il suffirait à la gloire de ce musulman, et ce
serait une garantie suffisante de durée pour son nom, d'avoir
eu à combattre les deux premiers hommes de guerre des temps
modernes, Napoléon et Kléber : mais indépendamment
de cet accident heureux de sa destinée, ce barbare, supérieur
aux siens en grandeur d'âme et en lumières, aurait
pu s'illustrer par des faits tout personnels.
Mourad était un jeune mameluk de la maison d'Aly-Bey premier
qui, voulant se rendre absolument indépendant de la Porte
Ottomane, s'était efforcé d'établir l'autorité
d'un seul despote sur les tyrannies concurrentes des 24 beys du
pacha et des corps ottomans qui se disputaient l'administration
de la malheureuse Égypte. Aly-Bey, parvenu à se débarrasser
de tous ses rivaux, avait trouvé un compétiteur inattendu
dans la personne d'Abou Dahab, son lieutenant, qui l'avait trahi ;
une seconde trahison assura la victoire à celui-ci, et cette
trahison, ouvrage de Mourad Bey, qui est le sujet de cette notice,
fut la première cause de l'élévation de ce
dernier. Voici comment on raconte cette première partie de
son histoire : Mourad, qui avait appartenu dans son enfance
au bey Abou-Dahab, était devenu éperdument amoureux
de la Géorgienne Sitty Néficals, épouse d'Aly-Bey,
son nouveau maître. Subjugué par cette passion fatale,
il ne voit que dans la destruction d'Aly l'espoir de la satisfaire,
et abandonnant, à la faveur des ténèbres, le
camp de celui-ci, il court offrir ses services à l'autre
bey Abou-Dahab. «Ton ennemi, lui dit-il, doit passer avec
son armée par un défilé où sa perte
est inévitable si l'on peut l'y arrêter à temps.
Je m'offre à toi : si je réussis, je ne te demande
qu'une grâce, donne-moi la belle Sitty Néficals.»
AbouDahab accepta avec joie ce secours inespéré, et
Mourad alla s'embusquer avec 1.000 mameluks dans les palmiers de
Sallyels. Aly-Bey hésita longtemps avant de s'engager dans
cet étroit passage. Ses éclaireurs l'avaient averti
du péril. Mourad, impatient de le joindre, se disposait à
l'aller chercher, lorsque l'imprudent bey vint enfin tomber dans
le piège qu'on lui avait tendu. Les soldats d'Aly, étonnés
de l'attaque, lâchèrent pied ; cependant leur
chef les rallia deux fois, et il était sur le point de se
saisir de la victoire lorsque Mourad fondit sur lui, et d'un coup
de sabre lui partageant le visage, l'abattit de son cheval. A la
vue de son bienfaiteur étendu sur le sable, le mameluk sentit
la pointe du remords et ne put retenir ses larmes. «Pardonne-moi,
lui dit-il ; oh! pardonne-moi, mon maître : je ne
t'avais pas reconnu.» Aly fut transporté au Caire.
Sa blessure n'était pas mortelle, mais Abou-Dahab en fit
empoisonner l'appareil. Mourad hérita de son harem et de
ses biens. Tels furent les commencements peu honorables de Mourad.
La mort de son patron, et celle d'Abou-Dahab, qui eut lieu peu de
temps après, laissa Mourad l'homme le plus puissant de l'Égypte.
Le seul rival qu'il pût avoir à redouter était
Ibrahim-Bey ; mais, grâce à la nécessité
de maintenir leur commune usurpation contre la politique de la Porte,
la bonne intelligence subsistait encore entre eux lorsque les Français
arrivèrent en Égypte. A la première nouvelle
de cette invasion, Mourad-Bey n'avait envoyé à la
rencontre des Français qu'une partie de la milice dont il
était le chef suprême. Il quitta bientôt après
le village de Giseh, où il faisait sa résidence habituelle,
pour se rendre au Caire dans l'intention de se venger sur les négociants
français qui se trouvaient dans cette ville de l'agression
des soldats de leur nation. Mais détourné de cette
résolution barbare par le conseil d'un Vénitien nommé
Rosetti, qu'il avait auprès de lui, il se contenta d'imposer
à ces négociants une contribution de quelques milliers
de piastres. Ce fut à Chebreis que les mameluks furent pour
la première fois rencontrés et battus par les Français.
A la nouvelle de cet échec, Mourad, rempli de fureur, ne
négligea pourtant aucun des moyens que lui fournissaient
son ascendant personnel et ses talents pour le réparer. Les
dispositions prises par Mourad, à la bataille des Pyramides,
étaient formidables ; ses forces montaient à
60.000 hommes, y compris l'infanterie et les hommes de pied qui
servaient chaque cavalier. De cette armée de 60.000 hommes,
il n'échappa que 2.500 cavaliers avec Mourad-Bey. Plusieurs
milliers de ses soldats, en essayant de traverser le Nil, y furent
engloutis. Retranchements, artillerie, pontons, bagages, sont tombés
au pouvoir des Français, et les nombreux cadavres qu'emporta
le cours du fleuve portèrent en peu de jours jusqu'à
Damiette et Rosette, et le long du rivage, la nouvelle de la victoire.
Ce ne fut que longtemps après sa fuite que Mourad Bey s'aperçut
qu'il n'était suivi que par une partie de son monde, et qu'il
reconnut la faute qu'avait faite sa cavalerie, de rester dans le
camp retranché. Il essaya plusieurs charges, pour lui rouvrir
un passage, mais il était trop tard : les mameluks eux-mêmes
avaient la terreur dans l'âme et agirent mollement. Après
la perte de la bataille des Pyramides, Mourad se réfugia
dans la haute Égypte où il fut poursuivi, harcelé
et tenu continuellement en échec par Desaix, qui détruisit
une seconde fois, par la victoire de Sédiman, les forces
que l'intrépide bey était parvenu à rassembler
de nouveau.
Après le départ de Bonaparte et de Desaix, Mourad
eut pour adversaire Kléber, le nouveau chef de l'armée.
Si les divers généraux qui l'avaient combattu furent
forcés de rendre justice aux talents de Mourad, de même
qu'à plusieurs traits qui annonçaient une certaine
générosité militaire, Mourad de son côté
ne tarda pas à être frappé de l'éclat
des grandes qualités morales qui relevaient le prix de la
valeur et des talents chez ces illustres guerriers. Il provoqua,
et eut (le 20 avril 1800) une entrevue avec Kléber à
Giseh;;la paix fut la suite des marques d'estime réciproque
que se donnèrent ces deux chefs. Mais cet arrangement avec
le prince des mameluks n'empêcha pas la guerre de se poursuivre
contre les Turcs et contre les Anglais auxiliaires de ces derniers.
Cependant Mourad investi, à titre d'allié de la France,
du gouvernement des provinces de la haute Égypte, ne cessa
de donner, depuis cette époque, des preuves non équivoques
d'attachement à l'armée française et à
son chef. L'importance d'un tel appui était un présage
de succès définitif pour la campagne et pour cette
fameuse expédition. Malheureusement Kléber tomba sous
les coups d'un assassin, et fut remplacé par Menou dans le
commandement de l'armée. L'arrogance de ce nouveau général,
égale à son incapacité, fit perdre tous les
avantages que la sage politique de son prédécesseur
avait préparés dans ses relations d'amitié
avec l'homme le plus puissant de l'Égypte. Mourad, justement
dégoûté par ses procédés, ne trahit
cependant point son alliance, et n'alla point offrir son sabre aux
Anglais et aux Turcs qu'il détestait également ;
il garda la plus stricte neutralité ; mais sa seule
inaction fut calamiteuse. Les divisions françaises renfermées
dans le Caire furent forcées de capituler, et Mourad, fidèle
à ses premiers serments, essaya encore, mais en vain, de
servir les Français. Invité par les généraux
renfermés dans le Caire à venir partager les dangers
de ses amis dans cette fâcheuse circonstance, il oublia tous
les sujets de mécontentement que lui avait donnés
Menou, et descendit le Nil pour venir se joindre aux Français ;
mais atteint de la peste, il fut forcé de s'arrêter
(le 22 avril 1801) à Benicouef, et y mourut au bout de quelques
jours. On rendit à Mourad-Bey tous les honneurs que méritaient
sa constante bravoure et la loyauté de son caractère.
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