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JOUBERT
( Barthélemi-Catherine), général en chef de
l'armée d'Italie, naquit en 1769, à Pont-de-Vaux,
en Bresse : à l'âge de quinze ans, il quitta ses
études pour servir dans un régiment de canonniers ;
mais son père, juge à Pont-de-Vaux, le destinant à
suivre la carrière du barreau, l'envoya terminer ses études
à Lyon.
Joubert étudiait en droit à l'université de
Dijon, lorsque la révolution de 1789, favorisant ses inclinations
martiales, il s'occupa beaucoup moins de la connaissance des lois
que des exercices militaires dans la garde nationale : âgé
de vingt ans, et né avec une imagination vive et ardente,
il parut animé de tout l'enthousiasme qui exaltait alors
les esprits. En 1791, il s'enrôla volontairement, et servit
dans tous les grades inférieurs, depuis celui de simple grenadier.
Devenu lieutenant d'infanterie, il était chargé de
la défense d'une redoute, sur le col de Tende, dans laquelle
il commandait trente grenadiers, au mois de septembre 1795 :
enveloppé par cinq cents Piémontais, ce ne fut qu'après
une vive résistance qu'il fut fait prisonnier.
Rentré en France, il revint à Pont-de-Vaux, dans le
temps où Albitte, envoyé par la Convention dans les
départements de l'Ain et du Mont-Blanc, y exerçait
cette effroyable tyrannie dont les traces et le souvenir ne sont
point encore effacés dans ces contrées. Joubert, parlant
à la tribune du club avec le courage d'un militaire indigné
de tant d'excès, accuse Alban et Vauquoi, agents d'Albitte ;
il attaque Albitte lui-même qui essaya de le faire arrêter.
Nommé adjudant-général en 1794, Joubert fut
chargé, au mois de juillet 1795, d'attaquer, avec deux mille
hommes, un corps de cinq mille Hongrois, retranché à
Melagno, dans une position très fortifiée. Il ne fit
sa retraite qu'après avoir perdu quatre chefs de bataillon,
cinquante-deux officiers, et le quart de ses troupes. Peu de temps
après, n'ayant pas été compris dans la nomination
des adjudants-généraux, il se retirait de l'armée,
sans murmure et sans faire la moindre réclamation, lorsqu'il
reçut du général Kellerman l'ordre de continuer
son service, et, bientôt après, le brevet d'adjudant-général
chef de bataillon.
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Au
mois de novembre 1795, s'étant fait remarquer à la
bataille de Loano par sa bravoure, il fut nommé général
de brigade sur le champ de bataille. Le 11 avril, il se distingua
à celle de Montenotte, par laquelle la brillante campagne
de 1796 s'ouvrit sous le commandement de Buonaparte. Deux jours
après, à Millesimo, ayant pénétré,
avec sept hommes, dans les retranchements ennemis, il fut frappé
à la tête et renversé : le bruit de sa
mort ébranla un instant le courage de sa colonne, qui rétrograda ;
mais, l'ayant ramenée au combat, Joubert poursuivit l'ennemi,
et, se concertant avec le général Ménard, il
réussit, par une manœuvre hardie et rapide, à envelopper,
à Cossaria, un corps de grenadiers autrichiens, commandé
par le général Provera, qui fut forcé de se
rendre prisonnier de guerre.
Dans cette bataille, il fut distingué par Buonaparte ;
celui-ci, dans son rapport au directoire, dit que l'intrépide
Joubert était tout à la fois un grenadier par son
courage, et un général par ses talents et ses connaissances
militaires.
Le 15 avril, il prit part au combat de Dego et aux attaques qui
forcèrent le général Colli d'évacuer
le camp retranché de Ceva ; deux jours après,
passant le Tanaro, il reçut une balle morte dans la poitrine ;
et, poursuivant les Piémontais, qui se retiraient à
Mondovi, il se trouva, le 25 avril, à cette bataille qui
devint aussi funeste au roi de Sardaigne, par le traité qui
en fut la suite, qu'elle fut importante pour le progrès des
armes françaises dans cette campagne. S'avançant sur
Turin, il s'empara de la petite ville de Cherasco ; et la possession
des forteresses de Coni, Ceva, Tortone et Alexandrie, ayant ouvert
les plaines de la Lombardie aux armées françaises,
il passe le Pô, poursuit les ennemis jusque sur Lodi :
il entre à Milan, entoure la forteresse, sous le feu de laquelle
il reste huit jours, et, se dirigeant sur Vérone, il s'empare
de cette ville, dans laquelle il entre le premier. La forteresse
de Mantoue ayant été investie, et l'armée ennemie
s'étant retirée dans les montagnes du Tyrol, il prit
position dans ce pays, pour en garder les issues.
Le 28 juin, il força le retranchement du col de Campione,
entre le fort de Garda et l'Adige. Dans cette fatigante et rude
journée, écrivait-il, je portais les ordres
moi-même, ne pouvant trouver personne qui y mit assez de promptitude.
Sur la fin de juin, il gardait le défilé important
de la Corona, lorsque Wurmser y arriva avec une armée de
trente mille hommes : attaqué avec vivacité,
Joubert défend ce poste pendant une journée, et ne
fait sa retraite que lorsqu'il se voit sur le point d'être
enveloppé.
L'armée française ayant repris l'offensive le 1er
juillet, il contribua au succès des combats de Fano, Lonado,
et de la bataille de Castiglione, du 6 juillet, qui fit échouer
le projet de Wurmser de débloquer Mantoue, et porter le théâtre
de la guerre dans le Milanez. Après la bataille d'Arcole,
étant chargé du commandement de l'avant-garde des
deux divisions de Masséna et de Vaubois, il se distingua
aux brillantes actions de Campara et de Montebaldo. Nommé
général de division, il s’occupait de défendre
les passages de la Corona et de Montebaldo, lorsque la campagne
s'ouvrit, dans les premiers jours de 1797, par la marche d'une nouvelle
armée qui s'avançait, avec des forces supérieures,
sur toute la ligne de l'armée française. Le 12 janvier,
il fut attaqué avec impétuosité : les
ennemis avaient déjà emporté une redoute ;
ranimant le courage de ses troupes, Joubert se met à la tête
des carabiniers et, se précipitant avec eux dans la redoute,
il culbute l'ennemi, et lui fait trois cents prisonniers.
Le 14 janvier, jour de la sanglante bataille de Rivoli, les Autrichiens
avaient dirigé leurs manœuvres pour envelopper la division
Joubert, et s'étaient emparés du plateau de Rivoli :
un feu terrible et bien dirigé, qui partait de ce point,
faisait tant de ravages, que l'armée française pensait
avoir perdu la bataille, lorsque Joubert ralliant ses troupes, et
se mettant à la tête des grenadiers, attaque, avec
fureur, ce plateau défendu par cinq cents hommes, s'en empare,
culbute les Autrichiens dans le bas de l'Adige, et leur enlève
plusieurs pièces de canon. De nouvelles troupes s'étant
portées sur ce plateau, il soutint le choc de trois attaques
successives sur ce poste important, qui était le seul par
lequel l'ennemi pouvait faire déboucher son artillerie et
et sa cavalerie: il contribua beaucoup au succès de cette
mémorable journée, qui décida du sort de l'Italie,
par la reddition de Mantoue, et ouvrit l'entrée de l'Allemagne
à l'armée française. Le lendemain il tourne
l'ennemi et, le gagnant de vitesse, il lui coupe la retraite, en
s'emparant de la Corona, et fait six cents prisonniers ; de
là, se portant rapidement sur le Trentin, il atteint l'arrière-garde
autrichienne, et la met en déroute. Le 5 février,
il se rend maître de la ville de Trente : sa division
et celles des généraux Baraguey-d'Hilliers et Delmas,
obtiennent encore d'autrès succès.
Le 20 mars, chargé du commandement des trois divisions, Joubert
reçut l'ordre de s'emparer du Tyrol. Après divers
combats, il prend Botzen, coupe la retraite de la colonne commandée
par le général Laudon, marche ensuite rapidement sur
Clausen, où l'ennemi s'était retranché, gravit
des rochers escarpés, perce le centre de l'armée ennemie,
et après l'avoir séparée de celle du prince
Charles, qui était dans la Carinthie, il la met en déroute
et, le 28 mars, il force les gorges d'Inspruck, défendues
par des bataillons qui arrivaient de l'armée du Rhin. En
s'emparant de tous ces passages, il courut souvent de grands dangers,
dont il ne sauva son armée que par la rapidité de
sa marche et de ses manœuvres, et par la vivacité des attaques.
Après avoir livré sept combats, fait neuf mille prisonniers,
enlevé douze pièces de canon et tous les magasins
des ennemis, il parvint à opérer sa jonction sur la
Drave avec la grande armée. Ces succès contribuèrent
beaucoup aux préliminaires de paix de Léoben, à
la signature desquels il fut présent, et il accompagna Buonaparte
lorsque celui-ci parut, le 19 décembre, dans tout l'éclat
de sa gloire militaire, pour présenter le traité de
Campo-Formio au directoire.
Nommé général en chef des troupes françaises
en Hollande, Joubert y favorisa la cause populaire. Appelé
au commandement de l'armée de Mayence, et, peu de temps après,
à celui de l'armée d'Italie, en remplacement du général
Brune, il s'y rendit au mois d'octobre 1798, réorganisa l'armée,
et y rétablit la discipline.
Dans le mois de décembre, ce fut lui qui dirigea une opération
en Piémont qui fixa les regards de l'Europe autant par son
résultat que par les moyens qui furent employés :
le roi de Sardaigne fut détrône et chassé de
ses États par les troupes françaises qu'il y recevait
sous la foi d'un traité de paix. Si l'on en croit les bruits
qui circulèrent dans le temps, Joubert entreprit cette expédition
sans en avoir reçu l'ordre du gouvernement français :
sa mésintelligence avec le directoire, ses opinions, et sa
démission qui eut lieu peu de temps après, ont rendu
cette assertion assez vraisemblable. Ce qu'il y a de sûr,
c'est que l'expulsion du roi de Sardaigne fut la suite d'une intrigue
préparée dès longtemps, et que, dès
la fin de novembre, toutes les mesures avaient été
prises pour tromper le gouvernement sarde sur la destination de
deux divisions de l'armée française qui devaient,
disait-on, rentrer en France en passant par le Piémont ::
une de ces divisions dirigée sur Novare, y arrive le 5 décembre
pendant la nuit et, s'approchant de la citadelle, un trompette en
demande l'entrée pour un courrier extraordinaire très
pressé : plusieurs voitures couvertes arrivent à
la suite ; tout-à-coup on en voit sortir des soldats
armés qui se jettent sur le poste chargé de garder
l'entrée de la citadelle. Au premier signal la division se
précipite dans
49 la forteresse, les casernes sont investies, la garnison piémontaise
est désarmée et faite prisonnière avec toutes
les autorités de la place. Dans le même temps, une
autre division s'emparait de la citadelle d'Alexandrie par un stratagème
à-peu-près semblable ; le poste d'Arona sur le
lac Majeur était occupé par les troupes françaises ;
et Joubert, se dirigeant rapidement sur Turin avec deux divisions,
y entrait comme dans une ville conquise. Déjà la citadelle
y était au pouvoir de l'armée française :
toute l'artillerie est mise en batterie sur la ville ; et cette
mesure qui augmente la consternation de la cour et l'effroi des
habitants, ne leur laissant pas même la ressource du désespoir,
le général Clausel, porteur d'un ordre de Joubert,
annonce au roi de Sardaigne qu'il a cessé de régner,
et lui signifie l'ordre de sortir de ses États. C'est dans
ces circonstances que ce prince prit la résolution de faire
un acte d'abdication de l'autorité souveraine, contre lequel
il ne tarda pas de protester. Après cette expédition,
qui fut conduite avec tant de célérité et de
secret qu'elle fut terminée au bout de trois jours, Joubert
se porta sur Livourne, reçut un contre-ordre, et deux commissaires
du directoire étant envoyés pour traverser ses opérations,
il donna sa démission, et revint à Paris.
A la révolution du 30 prairial, qui renouvela le directoire,
il fut nommé commandant de Paris. En juillet 1799, l'armée
française avait déjà perdu presque toute l'Italie ;
et le gouvernement directorial, menacé de toutes parts, paraissait
près de s'écrouler. Ce fut alors que les principaux
meneurs, persuadés que le pouvoir ne pouvait manquer de tomber
dans les mains d'un général, proposèrent à
Moreau de le lui livrer ; et que, sur son refus, ils l'offrirent
à Joubert qui , n'étant point encore environné
d'assez de gloire militaire, reçut d'eux le commandement
de l'armée d’Italie, afin d'obtenir, comme général
en chef, quelque succès important, et de revenir ensuite
à Paris exécuter ce que Buonaparte fit au 18 brumaire.
Il épousa alors Mlle de Montholon, de la même famille
que le premier président de Metz, et alla prendre à
Gènes le commandement des mains du général
Moreau, dont il demanda les conseils et sollicita les services.
Après des témoignages réciproques d'estime
et de confiance, également honorables pour les deux généraux,
le modeste Moreau se décida à servir sous les ordres
de Joubert. ( Voy, MoREAU. ) L'armée occupait, à-peu
près, les positions et le pays dans lequel la brillante campagne
de 1796 s'était ouverte avec tant de succès. L'ennemi
s'étant emparé d'Acqui, Joubert passa les montagnes
du Montferrat avec vingt mille hommes, reprit cette ville, et se
rendit maître de Capriata. Ayant sait sa jonction avec l'armée
de Naples, il marcha sur Novi, avec le projet de débloquer
Tortone et d'entrer dans les plaines du Piémont. Naturellement
porté à un système d'attaque, il paraissait
décidé à livrer bataille, lorsque le développement
des forces de l'ennemi et l'avis de ses généraux l'ayant
fait hésiter, il renvoya au lendemain pour prendre une détermination.
Prévenu à la pointe du jour par une attaque impétueuse
des Russes, en avant de Novi, où il commandait en personne,
il s'aperçut de quelque désordre dans la gauche de
l'armée : s'y portant avec rapidité, il rallie
deux bataillons et commande une charge à la baïonnette ;
au même instant, frappé dans le côté gauche
par une balle, il s'écrie : En avant, mes amis,
marchez toujours ; et, tombant de cheval, il dit à
son aide de camp : Prenez mon sabre, et couvrez-moi ;
en prononçant ces dernières paroles, il expira à
l'âge de trente ans.
Joubert fut un des généraux qui contribuèrent
le plus au succès des armes françaises en Italie,
par la hardiesse et la promptitude de ses manœuvres, par l'impétuosité
des attaques, et par une infatigable activité ; partageant
presque sans cesse les dangers et les privations du soldat, il lui
avait inspiré une confiance qui animait et exaltait son courage.
Né avec une constitution faible, il l'avait fortifiée
par un exercice continuel. Sa physionomie était douce et
mélancolique ; il était grave et silencieux :
peu exercé au talent de la parole, sa conversation n'annonçait
qu'un esprit ordinaire et peu cultivé ; néanmoins
il savait plusieurs langues, il avait de l'instruction, et surtout
une grande sagacité. On l'avait vu, dans toutes les contrées
foulées tant de fois par l'armée d'Italie, au milieu
de tant d'exemples de la dureté et de l'insolence du vainqueur,
conserver de la modération : avec tant d'occasions et
de moyens de disposer des richesses des vaincus, il s'était
fait remarquer par un rare désintéressement, et il
n'eut pas même la pensée de s'occuper de sa fortune.
N'ayant sur le gouvernement que les idées d'un soldat élevé
dans les camps, dont l'imagination s’était exaltée
par les idées qui dominaient alors, et ne connaissant d'autre
puissance que la bravoure, d'autre autorité que la force
des armes, il soutenait et aimait de bonne foi les principes qui
avaient opéré la révolution ; et il parlait
souvent d'un plan suivant lequel il s'agissait de détrôner
et de chasser de leurs États tous les souverains d'Italie
pour en former une seule république. Ayant commencé
l'exécution de cette entreprise par son expédition
en Piémont, il voulait sans doute en faire une semblable
dans la Toscane, lorsqu'il fut arrêté par les ordres
du directoire. Un décret récent a ordonné qu'il
soit élevé un monument à la mémoire
de ce général dans la ville de Bourg. Garat, Sonthonax
et M. Riboud, ont publié chacun l'éloge de Joubert ;
on a aussi une Notice sur ce général par Lalande.
F-s.
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