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CURTIUS
(Salon, ou cabinet de figures de). Curtius,
dont le véritable nom était probablement Curtz , artiste
allemand de naissance, se naturalisa en France, où il vint
vers l'année 1770. Il se fixa à Paris, et il y a passé
toute sa vie, sauf quelques excursions temporaires dans les provinces
et dans les pays étrangers. Il paraît que c'est à
lui que l'on doit, non l'invention, fort ancienne (v. Cire), mais
le perfectionnement des figures sculptées en cire, ou d'une
composition particulière, et représentant de grandeur
naturelle, avec leur costume et leurs habitudes ordinaires, et avec
plus ou moins de ressemblance, des personnages morts ou vivants.
Curtius établit deux salons, l'un au Palais-Royal, l'autre
sur le boulevard St-Martin, et plus tard sur celui du Temple, après
le théâtre de Nicolet. Tous les ans, il renouvelait
les deux salons, et tous les mois il y changeait quelque chose.
Le premier était plus spécialement consacré
aux grands hommes, aux illustres notabilités. Dans le second
étaient rangés les grands scélérats,
les individus qui s'étaient fait un nom dans les classes
inférieures de la société. On pense bien qu'il
n'oublia point son homonyme Marcus Curtius. Comme le moderne Curtius
faisait les bustes de tout ce qu'il y avait de plus distingué
à la cour et à la ville, il gardait une copie des
têtes les plus remarquables par leur caractère ou leur
beauté, et il les exposait dans ses salons. Il modelait les
rois, les grands écrivains, les jolies femmes et les voleurs.
On y a vu Jannot et Desrues, le Comte d'Estaing et Linguet, le grand
Frédéric et Voltaire, Catherine II et J.-J. Rousseau,
Hayder-Aly et l'aéronaute Blanchard, Francklin et Cagliostro
, la Comtesse de la Mothe-Valois et Mesmer, Buffon et Mlle Contat,
la famille royale assise à un banquet et Louis XVI à
côté de son beau-frère Joseph II, la réception
des ambassadeurs de Tippou-Saïb, etc. L'aboyeur criait à
la porte : Entrez, messieurs et dames, venez voir le grand couvert
; entrez, c'est tout comme à Versailles. Il n'en coûtait
que deux sous ; pour douze sous, on approchait, on circulait près
des figures ; et, malgré la modicité des prix, Curtius
faisait des recettes de 300 fr. par jour. On voyait aussi chez lui
des objets précieux en peinture et en sculpture, des monuments
antiques, des momies, des raretés telles que la chemise que
portait Henri IV lorsqu'il fut assassiné, avec les certificats
qui prouvaient l'authenticité de cette pièce ; enfin,
toutes les nouveautés qui firent sensation à diverses
époques. Curtius se montra patriote dès le commencement
de la révolution ; il exposa les figures de Lafayette, Bailly,
Mirabeau et autres députés de l'assemblée constituante,
celles des principaux détenus et vainqueurs de la Bastille,
et deux modèles de cette forteresse-prison, l'un dans son
état naturel, l'autre avec ses ruines. Mais Curtius devint
girouette, comme bien des gens qui ne s'en vantent pas, et qui en
ont fait comme lui un métier lucratif. Il offrit à
l'hommage ou à l'horreur du public les grands hommes du jour,
les grands hommes à la mode, triomphants ou victimes, et
leur décernant l'apothéose ou le châtiment,
suivant les circonstances. On vit ainsi tour à tour, dans
ses salons, les girondins et les montagnards, Vergniaux et Danton
, le duc d'Orléans et Philippe-Egalité, Marat et Charlotte
Corday, le père Duchesne et Robespierre, madame Roland et
le capucin Chabot, madame Tallien et Barras, Dumouriez et Talleyrand,
Bonaparte, sa famille, ses maréchaux, ses favoris , et quelques-uns
de ses chambellans et de ses sénateurs. Si sa mort ou celle
de son héritier, il y a une vingtaine d'années, les
a empêchés de montrer les effigies des rois, des héros
de la restauration, des princes de la Sainte-alliance, ils ont été
suppléés dans cette noble tâche par leurs successeurs
ou imitateurs des boulevards St Martin et du Temple, qui, faute
de mieux, ne font voir, il faut l'avouer, depuis quelques années,
que des grands hommes bien petits. |
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