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On a dit légèrement que c'était la Révolution
qui se couronnait elle-même ; que Napoléon, c'était
"Robespierre à cheval", etc. Ces systèmes
surannés ont eu leur moment de vogue ; mais rien de plus
arbitraire et de plus faux. Il est bien vrai que Napoléon,
ce bâtard heureux de la Révolution, en a fort habilement
exploité les souvenirs, mais uniquement pour en étouffer
les principes et les résultats autant que cela était
en sa puissance et dans des vues de grandeur personnelle et d'intérêt
privé.
Lui-même, indépendamment de son monstrueux égoïsme
et de son ambition effrénée, était, par son
tempérament et ses idées, un homme d'ancien régime.
Petit gentilhomme d'une noblesse douteuse, d'une famille besogneuse,
quoique gonflée d'orgueil et d'avide ambition, élevé
par faveur dans les écoles publiques, ce parvenu n'en était
pas moins rempli d'infatuation aristocratique ; il méprisait
le peuple et ne l'appréciait qu'en tant que force brute,
dans la mesure où il pouvait l'exploiter pour ses tueries.
Au fond, il n'avait de tendresse que pour l'aristocratie, il avait
le vulgaire engouement d'un bourgeois de Molière pour cette
noblesse de la vieille monarchie qui mendiait bassement, qui recevait
avec avidité ses faveurs, tout en le méprisant en
secret comme usurpateur et comme parvenu.
Etranger par la race et par les idées, il était à
mille lieues de cette France humanitaire et philosophe du XVIIIe
siècle dont les principes et les conceptions avaient pénétré
tous les hommes de son temps. Son mépris bien connu des idéologues
et tous les actes de sa vie montrent assez qu'il ne croyait qu'à
la force et à l'autorité. Loin d'être la continuation
de la Révolution française, son règne, malgré
son éclat militaire, en fut la réaction haineuse et,
sous le rapport politique, une pure imitation du césarisme
byzantin. En résumé, il ne laissa subsister de la
Révolution que ce qu'il ne pouvait anéantir, il restaura
de l'ancien régime tout ce qui pouvait s'adapter à
la société nouvelle. Son autocratie était même
plus absolue que celle des anciens rois et elle s'étendait
sur sa propre famille, à la manière antique et au-delà
des limites légales.
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