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Octave Levavasseur est né
à Breteuil (Oise) le 20 septembre 1781. Il était fils
de Jean-Bernard Le Vavasseur, conseiller du roi, subdélégué
de l'intendance d'Amiens et maître de poste.
Rntré à l'école polytechnique en novembre 1800,
il passa deux ans plus tard à l'Ecole d'application de Metz,
et en sortait en novembre 1803 avec le grade de lieutenant d'artillerie.
Incorporé au 2e régiment d'artillerie à cheval,
à Douai, il rejoignit bientôt avec sa batterie le camp
de Montreuil, un des camps du grand rassemblement qu'on nomma "Armée
des Côtes de l'Océan", ou camp de Boulogne.
Le passage
suivant est extrait des "Souvenirs d'Octave Levavasseur",
publiés en 1914 par son son arrière-petit-fils, le
commandant Beslay :
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Enfin
nous reçûmes l'ordre de partir pour Boulogne, où
le camp se formait.
La France était dans un état d'exaltation difficile
à décrire: la guerre venait d'être déclarée
à 1'Angleterre et le projet gigantesque de transporter à
Londres, sans marins, sans vaisseaux, son armée triomphante
était né dans la tête de Napoléon.
De toutes parts et dans les lieux mêmes les plus éloignés
de la côte, on se mit à construire des bateaux plats
; chaque ville avait voté la construction d'un navire : Compiègne,
pour le département de l'Oise, était le centre des
constructions. En quelque temps, tous nos ports de la Manche furent
encombrés de ces frêles embarcations sur lesquelles
deux ou trois canons à peine pouvaient tenir.
Il fallait
ensuite réunir à Boulogne les différents convois
; il fallait à chacun un commandant et des pilotes. La marine
anglaise, composée de plus de cent vaisseaux, était
en observation le long de notre côte. Tous ces convois, gênés
dans leur marche par cette flotte, serraient de trop près
la côte, éprouvaient des avaries continuelles et ne
pouvaient parvenir que difficilement au lieu désigné
pour le rassemblement.
On m'avait envoyé avec ma batterie à Dannes, petite
plage entre Boulogne et Étaples. Mon service m'obligeait
sans cesse à escorter les embarcations qui se trouvaient
serrées par les vaisseaux ennemis. Chose remarquable mes
meilleurs pointeurs sur terre échouaient complètement
dans leur tir sur mer, aucun point intermédiaire ne leur
permettant de mesurer la distance, qu'ils jugeaient toujours trop
rapprochée. Les Anglais, ayant un calibre plus fort que le
mien, et aussi plus d' habitude, montraient sur nous une supériorité
marquée : ils nous tuèrent quelques hommes.
Étant sur la côte, nous eûmes quelquefois la
bonne aubaine de recueillir des débris de naufrages,
tels que des petits tonneaux pleins de rhum et d'eau-de-vie, attachés
en chapelet et voyageant sous les vaisseaux pour éviter les
droits de la douane anglaise. En outre, tous les jours, la mer,
se retirant à plus d'une lieue de la côte, déposait
sur la plage une grande quantité d'objets provenant des naufrages
dont ces parages sont trop souvent témoins. Les paysans et
mes canonniers s'empressaient de courir sur la grève pour
y recueillir ces débris.
(...)
Lors de la marée basse, on apercevait au loin une assez grande
quantité de bâtiments échoués que les
flots venaient bientôt recouvrir. Il était ordonné
à nos batteries de tirer sur les embarcations qui ne faisaient
pas les signaux prescrits par
le règlement et il m'arriva plusieurs fois, pendant la nuit,
de canonner des chaloupes françaises qui avaient la maladresse
de ne pas allumer leurs feux.
Pour donner une idée de l'ignorance de nos pilotes, il me
suffira de raconter qu'étant à Dannes, j'eus le désir
d'aller voir Calais que je ne connaissais pas. Je partis avec mon
ordonnance et me rendis à Calais ; je m'y liai avec des officiers
du 12e régiment d'infanterie légère. J'appris
que le régiment s'embarquait la nuit même sur des bateaux
plats pour rejoindre Boulogne. Je me décidai à retourner
avec ce régiment et prescrivis à mon ordonnance de
reconduire mon cheval par la route de terre.
A deux heures du matin, accompagné des officiers, je pris
place sur un bateau plat et, lancés bientôt en pleine
mer, nous perdîmes de vue la côte de France, quoique
le jour fût venu. Le brouillard était fort épais,
l'appréhension de tomber sur la côte d'Angleterre s'empara
de l'équipage. Nos bateaux formaient une petite escadre que
de mauvaises manœuvres ne tardèrent pas à disperser.
Tout à coup une vigie crie: « Bâtiment anglais
! » La terreur s'empare de nous. « Hissez le perroquet!»
s'écrie-t-on : « Il nous gagne!... n'arrivons pas!...
il nous gagne!... arrivons!... arrivons! »... Dans ce moment
de détresse, on jette le canon à la mer, on approche
de la côte, et, au lieu de faire le circuit nécessaire
pour entrer dans le port, nous voulons couper au court et nous échouons.
Quelle fut notre humiliation, en sortant de l'eau devant toute l'armée
accourue sur le rivage, de reconnaître que le bâtiment
qui nous suivait était non pas anglais, mais une chaloupe
française qui fit fièrement son entrée dans
Boulogne en même temps que nous ! Je rentrai dans la ville
et repris tout confus la route de Dannes.
Quelques jours après, je reçus l'ordre de transporter
ma batterie à la pointe de Berck, entre la Canche et l'Authie.
(...) |
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