Le capitaine
Mercer, de l'artillerie britannique, raconte que le lendemain de
la bataille les blessés qui entouraient sa batterie suppliaient
pour avoir de l'eau. Mes hommes, écrit-il, avaient découvert
un bon puits d'eau non polluée à Hougoumont et en remplissaient
leurs bidons. Je pus donc me faire accompagner par plusieurs d'entre
eux pour soulager les nécessiteux de notre voisinage. Rien ne peut
surpasser leur gratitude et les bénédictions ferventes qu'ils répandaient
sur nous pour ce secours momentané.
Mais le puits de Hougoumont fut désaffecté,
victime d'une pratique (certains disent d'une légende) dont
Victor Hugo, dans les Misérables, s'était fait l'écho :
Beaucoup burent là leur dernière gorgée. Ce puits, où burent
tant de morts, devait mourir lui aussi.
Après l'action, on eut une hâte, enterrer les cadavres. La mort
a une façon à elle de harceler la victoire, et elle fait suivre
la gloire par la peste. Le typhus est une annexe du triomphe. Ce
puits était profond, on en fit un sépulcre. On y jeta trois cents
morts. Peut-être avec trop d'empressement. Tous étaient-ils morts
? la légende dit non. Il parait que, la nuit qui suivit l'ensevelissement,
on entendit sortir du puits des voix faibles qui appelaient.
Ce puits est isolé au milieu de la cour. Trois murs mi-partis pierre
et brique, repliés comme les feuilles d'un paravent et simulant
une tourelle carrée, l'entourent de trois cotés. Le quatrième coté
est ouvert. C'est par là qu'on puisait l'eau. Le mur du fond a une
façon d'œil-de-bœuf informe, peut-être un trou d'obus. Cette tourelle
avait un plafond dont il ne reste que les poutres. La ferrure de
soutènement du mur de droite dessine une croix. On se penche, et
l'œil se perd dans un profond cylindre de brique qu'emplit un entassement
de ténèbres. Tout autour du puits, le bas des murs disparaît dans
les orties.
Ce puits n'a point pour devanture la large dalle bleue qui sert
de tablier à tous les puits de Belgique. La dalle bleue y est remplacée
par une traverse à laquelle s'appuient cinq ou six difformes tronçons
de bois noueux et ankylosés qui ressemblent à de grands ossements.
Il n'a plus ni seau, ni chaîne, ni poulie ; mais il a encore la
cuvette de pierre qui servait de déversoir. L'eau des pluies s'y
amasse, et de temps en temps un oiseau des forêts voisines vient
y boire et s'envole.
Sur des dessins anciens, et sur des
lithographies faites dans les années 1830, 1840, on voit que le
puits est encore intact, avec sa superstructure complète. Lorsque
Victor Hugo visite Hougoumont en 1861, il ne reste plus que les
poutres de la toiture. Les photos prises depuis la fin du XIXe siècle
nous permettent de suivre le processus de dégradation. Aujourd'hui,
la margelle a atteint le niveau du sol.
Des recherches effectuées sous la direction
de D.P. Saunders permirent en 1982 de retirer les débris qui se
trouvaient au fond du puits, situé à 15 mètres de profondeur. Pas
d'ossements humains, mais le squelette d'un cheval, des moellons
et des pierres provenant de l'ancien chateau, des ustensiles de
cuisine, etc...
Néanmoins, ceci ne prouve pas
qu'il n'y ait pas eu de cadavres jetés dans le puits après
la bataille. Cette pratique était très courante en
temps de guerre, et le puits a pu être nettoyé peu
de temps après la bataille.