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  Waterloo   >   Questions  > Mot de Cambronne

Dernière modification: 26/06/2004

Le mot de Cambronne 

Qui a dit "La Garde meurt et ne se rend pas" ?

Qui a dit "Merde !" ?

 

La publication des Misérables, événement littéraire de l'année 1862, ramena l'attention sur la bataille de Waterloo, provoquant ainsi une floraison de pseudo témoignages, comme celui d'Antoine Deleau, un ex-grenadier du 2e régiment, qui, interrogé par Charles Deullin, un journaliste de « l'Esprit Public » affirma avoir clairement entendu Cambronne dans son carré crier deux fois la réponse héroïque, puis, excédé, répondre par "le mot".

 C’est là un bel exemple de pollution de la mémoire par les lectures subséquentes, puisque le grenadier Deleau ne pouvait être dans le carré de Cambronne, qui commandait un régiment de Chasseurs. D’autant plus que le bataillon de Deleau, le 2e du 2e régiment de Grenadiers, était à ce moment-là à Plancenoit. Mais en 1862, on n’y regardait pas de si près.

Le récit du vieux grenadier, qui semblait confirmer celui de Victor Hugo, l’opposant le plus en vue, gênait le gouvernement de Napoléon III. Aussi le préfet du Nord, Mr Wallon, à l’instigation du ministre de l’Intérieur de Persigny, convoqua-t-il Deleau en présence de l’autorité militaire, et sous prétexte de faire du témoignage de Deleau un « document historique », il rédigea le 30 juin 1862 un procès-verbal reprenant les termes mêmes de l’article, mais en lui faisant modifier quelques éléments trop invraisemblables, et surtout, en lui faisant habilement dire le contraire de ce qu'il avait affirmé à Charles Deullin.

Les détails de cette pitoyable manipulation historique seront donnés ici même.

Pour commencer, voici l'article de Charles Deullin paru dans l'Esprit public du 22 juin 1862, avec le récit du grenadier Deleau :

 

Les Misérables, de Victor Hugo, sont toujours le grand événement littéraire. Tout le monde sait que dans le chapitre intitulé : "Le dernier carré" l'auteur a terminé la vertigineuse description de la bataille de Waterloo, par le mot de Cambronne, écrit en toutes lettres.

A-t-il été prononcé, ce fameux mot, et doit-on le substituer définitivement à la phrase non moins célèbre : "La Garde meurt et ne se rend pas" ?

Curieuse question que M. Jules Lecomte agitait fort délicatement l'autre jour, et qu'il regarde comme résolue par l'opinion de Victor Hugo.

Peu d'hommes ont eu comme Cambronne le bonheur de survivre au dernier carré, et on doute qu'il en reste aujourd'hui. J'en connais un. Il s'appelle Antoine Deleau, et habite le village de Vicq, canton le Condé, arrondissement de Valenciennes (Nord). C'est un honnête cultivateur, qui a été maire de sa commune, et qui n'est nullement décoré.

A l'époque de la bataille de Waterloo, il était âgé de 23 à 24 ans, car il ne faut pas oublier qu'au retour de l'île d'Elbe, l'Empereur avait comblé les vides de la Vieille Garde, avec les soldats de la Jeune, et qu'il se trouvait des grognards de 24 ans parmi les braves qui ne voulurent pas survivre à la suprême défaite. Antoine Deleau ne compte que quelques années de service, mais elles ont été bien remplies et il y a peu de soldats à qui il ait été donné de voir de si près et en si peu de temps de si grandes choses. Or, voici ce que m'a conté plusieurs fois Antoine Deleau :

"J'étais au premier rang, avantage que je devais à ma grande taille. L'artillerie anglaise nous foudroyait, et nous répondions par une décharge de moins en moins nourrie.

"Entre deux décharges, le général anglais nous cria : "Grenadiers, rendez vous !" Le général Cambronne répondit, et je l'ai parfaitement entendu : "la garde meurt mais ne se rend pas !

"Feu ! " fit le général anglais.

"Nous reformâmes le carré et nous ripostâmes avec nos fusils.

"Grenadiers rendez vous ! Vous serez traités comme les premiers soldats du monde !" reprit d’une voix triste le général anglais.

"La garde meurt mais ne se rend pas !" répondit Cambronne. Sur toute la ligne, les officiers et les soldats répétèrent : "La Garde meurt mais ne se rend pas !" Je fis comme les autres.

"Nous essuyâmes une nouvelle décharge, et nous y répondîmes de notre mieux. "Rendez-vous, grenadiers, rendez-vous, nous crièrent en masse les Anglais qui nous enveloppaient de toutes parts. C'est alors que fou d'impatience et de colère, Cambronne lâcha le juron que vous savez. C'est le dernier mot que j'entendis, car je reçus dans mon colback un boulet qui m'étendit sans connaissance sur un tas de cadavres.

Je regrette que ce récit dérange un peu la superbe description de Victor Hugo, mais je n'ai pas lieu de suspecter la bonne foi de mon vieil ami. C'est un brave homme qui ne conte ses campagnes que quand on l'en prie bien fort, et qui se met le moins possible en scène.

 

 

Le "Courrier du Nord" du 4 juillet, reprenait l'article de Deullin, et ajoutait :

"On nous annonce que ce récit a éveillé l'attention, et que M. Deleau, le dernier survivant des compagnons de Cambronne a été mandé à la préfecture pour être interrogé sur les souvenirs qu'il a conservés de cette mémorable affaire."

 Heureusement, les archives du département ont conservé les traces de l'affaire. On y découvre (avec étonnement ?) que l'intérêt du  préfet pour l'histoire n'était pas dénué d'arrière-pensées politiques...

(à suivre)

 

 

Bientôt : Waterloo, récit critique, la synthèse d'une vision nouvelle sur la bataille,débarrassée des manipulations imposées par le plus grand stratège de tous les temps.

 

 

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