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Quelles furent les conséquences de
la mystification de Waterloo ?
Napoléon,
par sa réécriture de la bataille, est parvenu à
tromper tout le monde, contemporains et postérité,
sur les vraies causes de la défaite.
Tous les témoins
français sont unanimes pour accorder à la puissance
de feu des Britanniques une part prépondérante dans
le résultat de la bataille. C'est l'avènement d'une
nouvelle époque dans la conduite de la guerre. Le temps de
la supériorité de l'offensive (le choc à la
baïonnette, l'arme favorite des Français) est passé.
Comme l'écrit le professeur Bernard en 1954 : "Pour
longtemps, le feu posté va disqualifier la méthode
du choc. (...) Waterloo inaugure ainsi une ère de la tactique
qui durera 125 ans : celle de la primauté de la défense
sur l'attaque."
Mais ce message
est occulté par Napoléon, qui remplit de sa renommée
l'espace mental des théoriciens français.
Ainsi Foch,
qui est en 1900 professeur à l'École de guerre, dit
que la base de l'enseignement de cette école se trouve dans
l'histoire. Et dans l'étude de cette histoire, il y a un
grand maître, Napoléon :
"Nos modèles
et les faits sur lesquels nous assoirons une théorie, nous
les demanderons à certaines pages de l'histoire : à
cette époque de la Révolution où la Nation
tout entière s'arme pour la défense de ses intérêts
les plus chers : l'Indépendance, la Liberté ; à
celle de l'Empire où l'armée, née de cette
crise violente, est prise en main et conduite par le plus grand
génie militaire qui ait jamais existé, donnant ainsi
naissance à d'incomparables chefs-d'œuvre de l'art. "
(Foch, Des Principes de la guerre, p. 24.)
A longueur
de pages, Foch insiste sur l'importance de l'étude de l'histoire
dans l'établissement des théories de la guerre. Mais
toute l'histoire, telle que Foch la connaît, est complètement
faussée, pervertie, on l'a vu. Comment s'étonner,
dans ce cas, qu'on en arrive à des théories militaires
aberrantes ? On voudrait croire qu'on rêve, quand on lit des
phrases comme celles qui suivent, écrites en 1900 de la plume
d'un homme qui allait commander les armées françaises
dans la guerre :
"Les lauriers
de la victoire flottent à la pointe des baïonnettes
ennemies. C'est là qu'il faut aller les prendre, les conquérir
par une lutte corps à corps, si on les veut. (...) Fuir ou
se ruer, tel est l'inéluctable dilemme qui se pose. Se ruer,
mais se ruer en nombre et en masse, là est le salut. Car
le nombre, si nous savons nous en servir, nous permet, par la supériorité
des moyens matériels qu'il met à notre disposition,
d'avoir raison de ces feux violents de l'adversaire. Avec plus de
canons nous éteindrons les siens, et de même des fusils,
et de même des baïonnettes, si nous savons tous les employer.
"Le nombre, c'est la supériorité morale à
notre profit par le sentiment de la force qu'il porte en lui et
que nous développerons par la formation.
"Le nombre, c'est la surprise chez l'adversaire, la conviction
qu'il ne peut résister, causée par l'apparition brusque
du danger ; par la rapidité et les proportions d'une attaque
qu'il n'a ni le temps ni les moyens de parer. " (Foch, Des
principes de la guerre, p 322.)
A Waterloo,
la puissance de feu britannique a brisé les offensives françaises.
C'est un nouvel âge de la tactique qui commence là.
Ce que le professeur Bernard appelle la primauté de la défense
sur l'attaque.
Mais l'état-major français, qui ne connaît Waterloo
qu'à travers Napoléon et Houssaye, rêve toujours
d'offensives napoléoniennes :
"Le perfectionnement
des armes à feu est un surcroît de forces apporté
à l'offensive, à l'attaque intelligemment conduite
; l'histoire le montre, le raisonnement l'explique [1] .
"Car si la tactique rationnelle de l'offensive a toujours consisté
pour finir à présenter sur un point plus de fusils
et plus de canons que l'adversaire, il est incontestable qu'elle
présente aujourd'hui de meilleurs fusils et de meilleurs
canons ; et alors ses avantages augmentent. Si vous en voulez une
démonstration mathématique, elle est très facile:
Ce sont 2 bataillons que vous lancez contre ...1
Ce sont 2000 hommes que vous lancez contre...1000
Avec un fusil tirant
1 coup à la minute, 1000 défenseurs donnent... 1000
balles
Avec le même fusil, 2000 assaillants donnent ...2000 balles
Bénéfice au profit de l'attaque ...1000 balles
Avec un fusil tirant 10 coups à la minute, 1000 défenseurs
donnent en une minute 10.000 balles
Avec le même fusil, 2.000 assaillants donnent ... 20.000 balles
Bénéfice... 10.000 balles
"Comme on le voit,
la supériorité matérielle du feu croît
rapidement au profit de l'attaque, avec le perfectionnement des
armes. Combien croissent encore plus rapidement l'ascendant, la
supériorité morale de l'assaillant sur le défenseur,
de l'écraseur sur l'écrasé. Il est évident
d'ailleurs que l'attaque devra prendre plus de précautions
pour avancer ses 2.000 hommes, ses 2.000 fusils, pour les engager
tous ; elle n'en reste pas moins supérieure en fin de compte,
même au point de vue des feux. "
(Foch, Des Principes
de la guerre, p. 30.)
Il n'est pas nécessaire
d'avoir fait l'école de guerre pour comprendre que les balles
de l'assaillant, qui court en avant en se découvrant, n'auront
pas l'efficacité de celles du défenseur, qui a pu
choisir sa position et est donc moins exposé. Le colonel
Foch n'en tient pas compte. Comme il ne tient aucun compte de la
mitrailleuse...
Qui aurait osé
contredire les affirmations de Foch, un brillant colonel d'artillerie
promis à un bel avenir, qui avait appris les principes de
la guerre en étudiant dans l'histoire les préceptes
de Napoléon, le plus grand génie militaire de tous
les temps ?
Le résultat fut
tragique. Les soldats le comprirent avant les généraux,
témoin cette lettre de Michel Lanson, écrite en juillet
1915 :
"L'attaque du 9
a coûté (c'est le chiffre donné par les officiers)
quatre vingt-cinq mille hommes et un milliard cinq cents millions
de francs en munitions. Et à ce prix, on a gagné quatre
kilomètres pour retrouver devant soi d'autres tranchées
et d'autres redoutes. Si nous voulons prolonger la guerre, il faudra
renoncer à ces offensives partielles et coûteuses,
et reprendre l'immobilité de cet hiver. Je crois que dans
l'état de fatigue où sont les deux infanteries, c'est
celle qui attaquera la première qui sera la première
par terre. En effet, partout on se heurte aux machines. Ce n'est
pas homme contre homme qu'on lutte, c'est homme contre machine.
Un tir de barrage aux gaz asphyxiants et douze mitrailleuses, en
voilà assez pour anéantir le régiment qui attaque.
C'est comme cela qu'avec des effectifs réduits les Boches
nous tiennent, somme toute, en échec. Car enfin nous n'obtenons
pas le résultat désiré, qui est de percer.
On enlève une, deux, trois tranchées, et on en trouve
autant derrière." (Paroles de Poilus, Librio - Radio
France, 1998, p. 63.)
Combien de morts dans
ces offensives inutiles, qu'une meilleure connaissance de l'histoire
aurait pu éviter ? Il faudra les mutineries de 1917 pour
que l'état-major français comprenne qu'il y avait
un problème...
Tragiques conséquences
d'une tactique basée sur la connaissance de l'histoire telle
qu'on l'enseignait avant 1914. (voir Visions)
Le problème est
que l'histoire de la Révolution et de l'Empire, telle qu'on
la connaît aujourd'hui, va toujours puiser aux mêmes
sources et se nourrit des mêmes images partiales, unilatérales
et truquées.
Il me paraît indispensable
de nous dégager de cette vision, de renouveler l'image du
passé et de l'adapter au présent, car elle conditionne
notre avenir.
1] L'histoire est fausse,
le raisonnement qui suit est débile. Mais Foch est colonel,
il sera maréchal. A quel prix ?
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