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Beauchamp
(Alphonse de), historien, né a Monaco, en 1767,
fils d'un chevalier de St-Louis, major de cette place, entra au
service de Sardaigne en 1781, comme sous-lieutenant dans le régiment
de la marine. Il revenait alors de Paris, où il avait passé
plusieurs années chez des parents riches et d'un rang distingué,
qui l'introduisirent de bonne heure dans la haute société.
Il y puisa le goût des arts et des plaisirs frivoles ; mais
son éducation sous les autres rapports fut très négligée.
Son début en Piémont ne fut marqué que par
quelques vers de société, et par des galanteries que
favorisaient un extérieur agréable et une grande politesse.
Il avait vu toute la France dominée par les doctrines du
parti qui préparait la révolution, et il les avait
adoptées avec toute la chaleur de son âge et de son
caractère. Il n'y renonça pas sans doute en entrant
au service du roi de Sardaigne ; et, lorsque la guerre éclata
entre ce prince et la république française, en 1792,
il refusa positivement de servir contre sa patrie. Ce refus dans
de pareilles circonstances devait lui attirer des persécutions;
il fut emprisonné et détenu pendant plusieurs mois
à la Brunette, puis au château de Ceva, et il ne recouvra
la liberté qu'à la fin de l'année 1793. Il
se hâta alors de retourner en France, et arriva dans la capitale
au moment où le terrorisme y dominait avec le plus de force.
Dénué de ressources et n'ayant pour vivre que son
zèle et son enthousiasme pour la liberté, il entra
dans les bureaux du terrible comité de sûreté
générale, qui, sous la direction des Amar et des Billaud-Varennes,
exerçait une si violente tyrannie. D'un caractère
bon et généreux, Beauchamp ne put voir tant de crimes
sans en être indigné ; mais il n'était pas en
son pouvoir de les empêcher : il rendit tous les services
que des fonctions subalternes lui permirent de rendre ; et, quand
Robespierre succomba dans la journée du 9 thermidor, il se
réunit franchement à ses adversaires. Lorsque le gouvernement
directorial fut établi par la constitution de l'an 3, il
passa dans les bureaux du ministère de la police, chargé
de la surveillance de la presse, et plus particulièrement
de celle des journaux. C'est dans cette place que nous l'avons connu,
et nous pouvons attester que, tout en s'acquittant de ses devoirs
avec autant de probité que de talent, il ne manqua jamais
l'occasion d'adoucir les rigueurs du pouvoir. Ce fut à cette
époque qu'il conçut la première pensée
de son Histoire de la guerre de la Vendée, et l'on
ne peut douter qu'il n'ait puisé pour ce travail dans les
cartons du ministère ; ce dont il avait d'ailleurs reçu
l'autorisation. Plein de sens et de sagacité, doué
d'un esprit observateur et très bien placé pour tout
voir et tout comparer, il avait examiné avec une scrupuleuse
attention, et jusque dans les plus petits détails, les événements
de cette guerre. Tous les rapports et toutes les dépêches
ostensibles ou secrètes avaient passé dans ses mains
; et cependant il n'avait adopté aucune opinion, il n'avait
épousé la cause d'aucun parti ; ainsi, il était
dans la position la plus favorable où puisse se trouver un
historien assez près des événements pour bien
les voir, assez loin pour ne pas en être atteint ou forcé
d'y prendre part. Beauchamp s'occupa presque exclusivement de ce
grand ouvrage pendant plusieurs années, et il en publia la
première édition en 1806, 5 vol. in-8° (1). Peu
d'ouvrages historiques ont obtenu de nos jours un aussi grand succès
; et l'on ne doit pas seulement attribuer ce succès à
l'intérêt d'événements si rapprochés,
si extraordinaires ; il faut aussi en voir la cause dans le talent
et surtout dans la rare impartialité de l'auteur. Ce fut
en le lisant que Napoléon dit des Vendéens ce mot
célèbre et si souvent répété
: « C'était un peuple de géants. »
Mais, comme le fait observer Fiévée : « La
gloire de ce temps-là voulait être exclusive ; de même
que le patriotisme en 1793, elle n'admettait ni rivalité
ni comparaison ; et pour avoir montré que les Français
sont également braves, quelle que soit la cause pour laquelle
ils prennent les armes, M. de Beauchamp fut puni. » On
ne peut cependant pas accuser Napoléon d'avoir ordonné
lui-même cette persécution. S'il est vrai qu'il se
montra quelquefois jaloux de toute espèce de gloire, on doit
dire aussi qu'il avait des idées plus élevées
et plus généreuses. Mais la plupart de ses agents,
et surtout son ministre Fouché, avaient à venger leurs
anciens collègues, ces proconsuls de la convention, dont
Beauchamp avait représenté avec tant d'énergie
et de vérité les cruautés et les turpitudes.
Il le priva de son emploi au ministère, sous prétexte
qu'il avait consulté pour cet ouvrage les matériaux
qui lui étaient confiés ; la troisième édition
fut saisie au moment où elle allait paraître ; et plus
tard l'historien de la Vendée fut arrêté (1809),
puis exilé à Reims. Ce n'est qu'en 1811 qu'il lui
fut permis de revenir dans la capitale. Et, pour obtenir cette permission,
il fut obligé de signer un engagement de ne plus rien publier
sur la politique contemporaine. Il obtint alors, dans les droits
réunis, une de ces espèces de sinécures que
la munificence du chef de cette administration ( Français
de Nantes) semblait accorder à quelques gens de lettres,
pour leur donner les moyens de s'occuper de travaux littéraires.
Beauchamp profita plus qu'aucun autre de cet avantage : peu d'hommes
étaient plus actifs et plus laborieux. Suppléant par
le zèle à ce que sa première éducation
avait eu d'incomplet, il suffisait par de longues veilles à
d'immenses travaux. Déjà il avait conçu et
exécuté presque seul le travail si utile des Tables
du Moniteur ; il eut encore une part à peu près
semblable à la Biographie moderne, Leipsick ou Breslau
(Paris), 4 vol. in 8°.
Il fut dès le commencement un des collaborateurs les plus
utiles de cette Biographie universelle, dont tous les volumes
contiennent des articles de sa composition. Il en avait même
préparé pour le Supplément un assez
grand nombre, qui, imprimés sur son manuscrit, se trouvent
dans cette nouvelle édition. A l’époque de la restauration,
en 1814, sa place aux droits réunis fut supprimée
; mais il obtint du roi la croix de la Légion d'honneur et
une faible pension dont il a joui jusqu'à sa mort. Ce fut
dans ce temps-là, que M. Bouvier- Dumolard lui intenta un
procès, pour avoir dit, dans son Histoire de la campagne
de 1814, que cet ex-préfet du Tarn avait été
cause de la bataille de Toulouse, en retenant un courrier expédié
au maréchal Soult par le gouvernement provisoire. N'étant
point soutenu par le gouvernement, dont il avait embrassé
la cause, et vivement attaqué par une opposition déjà
audacieuse, Beauchamp fut condamné à une amende, même
à la prison, et il se vit contraint de fuir lors du retour
de Bonaparte. Mais ce jugement resta sans exécution après
le second retour du roi, et l'auteur de la Campagne de 1814
fit paraître une seconde édition de cet ouvrage, à
laquelle il ajouta deux nouveaux volumes comprenant la campagne
de 1815. Beauchamp est mort le 1er juin 1832, des suites du terrible
fléau qui affligeait alors la capitale.
D'un
commerce très sûr et de mœurs douces, il a toujours
conservé des amis dans tous les partis et dans tous les rangs
de la société ; mais, écrivant presque toujours
sur des sujets récents, et voulant dire la vérité,
il ne put éviter de blesser quelquefois les intérêts
et les passions d'hommes irritables et puissants, qui firent tout
pour se venger. Sa vie fut ainsi semée de beaucoup de tracasseries
et de persécutions ; il les supporta courageusement et avec
persévérance. Doué d'une grande sagacité
politique, nul ne savait mieux que lui comprendre et apprécier
les hommes et les choses de notre époque. Ses écrits
sont trop nombreux pour que tous aient été composés
avec le même soin et la même supériorité.
Le premier et le plus important de tous est, sans aucun doute, son
Histoire de la guerre de la Vendée. Pour l'exactitude
et l'intérêt des récits, pour l'impartialité
des jugements, cet ouvrage est certainement un des plus précieux
monuments de l'histoire contemporaine. Lorsqu'il parut, tous les
lecteurs, tous les journaux furent d'accord pour en faire l'éloge.
La quatrième édition, bien que plus complète,
plus exacte et plus soignée, est celle qui a rencontré
le plus de contradicteurs ; c'est qu'alors (1820) toutes les passions
longtemps assoupies venaient de se réveiller. Sous l'Empire,
bien que plus près des événements, on les jugeait
déjà avec le calme et le désintéressement
de la postérité : sous la Restauration, il n'est que
trop vrai que la révolution a recommencé, et que toutes
les passions, jusque-là si heureusement contenues, se sont
déchaînées avec une nouvelle fureur. Ces passions
s'amortissent peu à peu ; et, depuis qu'on lit avec plus
de sang-froid, les écrits de Beauchamp sont mieux appréciés
; on pourrait dire que pour lui la postérité recommence.
Il est certain que c'est dans ses ouvrages qu'elle trouvera les
meilleurs renseignements sur notre histoire.
On a
de lui, outre les ouvrages dont nous avons parlé :
1° le Faux Dauphin, Paris, 1803, 2 vol. in-12.
2° Histoire de la campagne du maréchal Suwarow en
Italie, formant le 3e volume des Campagnes de Suwarow.
3° Histoire de la conquête et des révolutions
du Pérou, Paris, 1807, 2vol. in-8».
4° Biographie des jeunes gens ( avec Durozoir Durdent
et autres gens de lettres), Paris, 1813, 3 vol. in-12 ; ibid., 1823,
4 vol. in-12, port.
5° Histoire des malheurs et de la captivité de Pie
VII, sous le règne de Napoléon Buonaparte, Paris,
1814. in-12; ibid., 1815, in-12; ibid., 1823, in-12.
6° Vie politique, militaire et privée du général
Moreau, Paris, 1814, in-8°.
7° Histoire du Brésil, depuis sa conquête en
1500, jusqu'en 1810, Paris, 1815, 5 vol. in-8°.
8° Catastrophe de Murat, etc., Versailles,18l 3, in-8°.
9° La duchesse d'Angoulême à Bordeaux,
Versailles, 1815, in-8°.
10° Histoire des deux Faux Dauphins, Paris, 1818, 2
vol. in-12 ou 1 vol. in-8°.
11° Mémoires du comtede Rochecotte, rédigés
sur ses papiers et sur les notes de ses principaux officiers, Paris,
1818, in-8°.
12° Vie d'Ali Pacha, vizir de Janina, Paris, 1822,
1 vol. in-8° avec portrait; seconde édition, même
année.
13° Histoire de la révolution du Piémont et
de ses rapports avec les autres parties de l'Italie et avec la France,
Paris, 1821, in-8°; et 2e partie : de la Révolution du
Piémont, rédigé sur des mémoires secrets,
avec une réfutation de l'écrit intitulé : de
la Révolution piémontaise (du comte de la Rosa)
, Paris, 1823, in-8°.
14° De la Révolution d'Espagne et de son 10 août,
2e édition, Paris, 1822.
15° Vie de Jules-César, suivie du tableau de ses
campagnes, avec des observations critiques, Paris, 1823, in-8°.
16° Vie de Louis XVIII, roi de France et de Navarre,
Paris, 182l , in-8° ; seconde édition, 1824, in-12 ;
troisième édition, 1824, 2 vol. in-8°, avec deux
grav.
17° Réfutation de l'écrit intitulé
: Coup d'œil sur l'état politique du Brésil, etc.,
Paris, 1824, in-8°.
18° Critique historique avec des observations littéraires
sur l'ouvrage du général de Ségur, intitulé
: Histoire de Napoléon, Paris, 1825, in-8°.
On a attribué avec raison à Beauchamp les Mémoires
imprimés sous le nom de Fouché. (Voy. ce nom.) Il
a également rédigé plus tard les Mémoires
de Fauche- Borel (voy. ce nom), avec les matériaux qui
lui avaient été fournis par ce dernier, ainsi que
l'Histoire de l'Inde, publiée sous le nom de M.
Collin de Bar. Beauchamp a aussi concouru à la rédaction
de plusieurs écrits et mémoires particuliers, de plusieurs
journaux, entre autres de la Gazette de France en 1811,
1812, 1813. Sous la Restauration, il a été un des
principaux collaborateurs du Drapeau Blanc. Il a été
l'éditeur :
1° de l'Histoire du donjon et du château de Vincennes,
par Nougaret, 1807, in-8°;
2" de l'Histoire de Bayard, par Guyard de Berville,
nouvelle edit., 1822 (voy. l'article Bayard);
3° de la Collection des Mémoires relatifs à
la révolution d'Espagne, 1824 et 1825, 6 vol. in-8°
;
4° des Mémoires secrets et inédits pour servir
à l'histoire contemporaine, 1825, in-8°. Son Histoire
de la campagne de 1814 et 1815 a été traduite
en anglais dans l'année même de sa publication. Enfin
Beauchamp a rédigé les premiers volumes des Mémoires
d'un homme d'État, publies en 13 vol. par l'auteur de
cet article. Il avait laissé en mourant les matériaux
des volumes suivants à peu prés en état d'être
imprimés, et c'est à tort que l'on a attribué
ces ouvrages à M. le comte d'Allonville, qui n'a fait que
mettre en ordre le travail de Beauchamp, M— D j.(article de Michaud
junior).
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