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La campagne de 1815 nous présente Bonaparte au 1er juin avec
550 mille combattants pour repousser les invasions dirigées
contre la France. En jetant un coup d'œil sur le Tableau n°
3, on voit qu'il est obligé d'employer à la garde
des places fortes et des côtes 196 mille hommes (nommés
Armée extraordinaire). Il lui en restait donc 363.000
en troupes de ligne; cependant, il ne put en déployer que
217 mille, les dépôts en contenant 146 mille. Ainsi,
quoiqu'il eût une masse de plus d'un demi million d'hommes,
il lui fut impossible de concentrer plus de 117 mille combattants
sur la Sambre ; car les forces qu'il avait placées en Alsace
et sur les débouchés de la Suisse et de l'Italie ne
pouvaient être comptées que pour des divisions plus
ou moins fortes, établies plutôt pour observer les
armées ennemies prêtes à entrer en France, que
comme moyen d'arrêter leurs opérations offensives.
Nous allons examiner maintenant jusqu'à quel point l’action
des places fortes peut influer sur les mouvements stratégiques.
La répartition des 196 mille hommes dans les garnisons fut
faite de la manière suivante : sur la première ligne
de la frontière du Nord, les garnisons étaient complètes,
pour la deuxième, elles n'avaient que la moitié de
leur personnel, et la troisième, le quart. (Voyez le Tableau,
n° 2.) Il est vrai que ces forces n'étaient composées
que de gardes nationales mobilisées depuis un mois.
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Bonaparte voyant que des différentes invasions qui allaient
s'opérer, la plus à craindre était celle qui
menaçait le Nord, se décida à attaquer la Belgique
avec les 117 mille hommes qu'il avait rassemblés sur ce point.
Il passa la Sambre le 15 juin. Le lendemain, il dirigea le maréchal
Ney avec sa gauche composée de 45 mille hommes sur les Trois-Bras,
point de concentration de l'armée anglaise ; tandis que lui-même
avec le reste de ses masses, marcha sur l'armée prussienne,
qui n'avait encore concentré que 80 mille hommes, et qui
était en position, derrière le ruisseau de Ligny ;
il la força après un combat meurtrier de se replier
sur Wavre. Napoléon, après la bataille de Ligny, détacha
le général Grouchy avec 32 mille hommes sur la droite
de la Dyle, pendant qu'il marcha avec son centre, une partie de
sa gauche et sa réserve sur la grande route de Bruxelles.
Il trouva le 18, Wellington avec 80 mille hommes en position, en
avant de Waterloo. La bataille commença par une attaque parallèle,
jusqu'à deux heures, qu'elle devint oblique. Bonaparte fut
obligé de former une potence d'une partie de sa réserve
pour empêcher Bulow, qui arrivait avec plus de 25 mille hommes,
de déborder sa droite. Le combat se maintint jusqu'à
sept heures du soir où Blucher vint se mettre en ligne, l'armée
ennemie se trouvait alors portée à plus de 130 mille
hommes. Le feld-maréchal prussien continua de tourner entièrement
la droite de l'armée française, et parvint à
l'envelopper, ce qui détermina la perte de la bataille.
Observations
sur les journées des 16 et 18 juin.
La direction des forces françaises sur la droite des cantonnements
prussiens prouve que Bonaparte voulait écraser Blucher avant
qu'il ait eu le temps de concentrer son armée, et que celle
de Wellington pût venir le soutenir. On se demande alors pourquoi
Napoléon divisa ses forces ?
20 mille hommes de sa gauche en avant de Frasnes eussent suffi ;
il en aurait donc eu 25 mille de plus à sa disposition, ce
qui rendait ses masses assez considérables pour lui donner
la possibilité d'anéantir la droite du feld-maréchal.
D'un autre côté, les généraux alliés
ne commirent pas moins de fautes ; car Wellington et Blucher devaient
resserrer leurs cantonnements du moment qu'ils apprirent les premiers
mouvements de l'armée française, et le dernier surtout
ne devait pas s'exposer à livrer bataille dans la position
de Ligny, tandis qu'il eût pu manœuvrer toute la journée
du 16 entre la Dyle et l'Orneau, ce qui eût facilité
la concentration des deux armées.
On est encore étonné de voir Bonaparte dans la journée
du lendemain former deux lignes d'opérations, en dirigeant
Grouchy sur Gembloux , avec l'ordre de suivre l'armée prussienne
, dans le même temps qu'il se disposait, avec à peu
près 70 mille hommes, à prolonger la chaussée
de Bruxelles. Ce mouvement divergent plaça presque tout de
suite la Dyle entre les deux lignes.
Cette combinaison forçait nécessairement l'un des
deux corps de défiler sur de petits ponts dans le cas où
l'un d'eux eût voulu se rejoindre avec l'autre. Le général
français voulait forcer l'Anglais à accepter une bataille
ou à évacuer Bruxelles ; mais alors, il n'avait pas
trop de la majeure partie de ses forces pour exécuter cette
opération. On ne conçoit donc pas qu'il ait détaché
35 mille hommes chargés de poursuivre Blucher, il suffisait
de l'observer, et pour cet effet, 10 mille seulement eussent été
nécessaires. Ainsi, Bonaparte se serait réservé
une masse de 100 mille combattants qu'il eût pu déployer
devant Wellington ; car on ne peut douter que les opérations
de Ney et de Grouchy ne fussent entreprises d'après l'ordre
formel de Bonaparte.
Enfin, comment peut on se persuader que le même général
français, qui avait profité si habilement en tant
d'occasions, des fautes qu'avaient faites ses adversaires en divisant
leurs forces devant lui, commit à son tour celle de manoeuvrer
sur deux lignes d'opérations excentriques (relativement à
la concentration des masses alliées). On peut donc affirmer,
que ce fut en grande partie à l'abandon de l'un des premiers
principes de l'art de la guerre qu'on doit attribuer le commencement
de tous les malheurs qui accablèrent Napoléon durant
cette courte campagne.
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