17 décembre
1802.
Ce matin, pendant mon heure de méditation accoutumée
dans la Galerie des Antiques, j'ai été frappé par un trait de ressemblance
entre la tête d'une statue colossale d'Auguste et le visage de Bonaparte :
de part et d'autre, un même sourire fin et sardonique. J'ai trouvé ce
sourire sur les lèvres du Premier Consul, lors de ma dernière audience à
Saint-Cloud ; il a dû exister de même sur celles d'Auguste. Car le sculpteur
romain n'a certainement pas inventé une particularité aussi caractéristique
: il a reproduit fidèlement, la chose me semble hors de doute, la
physionomie impériale. La statue, vous le savez, a été exhumée à Velletri,
lieu de naissance d'Auguste; on la considère comme une oeuvre originale.
Pour les autres traits, la tète antique ne ressemble pas à celle du moderne
Auguste, sans que l'on puisse dire cependant qu'il existe un contraste
absolu entre les deux visages. Quant au costume, si jamais le Consul vient à
examiner les draperies magistrales de la toge de l' Imperator, il
trouverait singulièrement étriqué et disgracieux son habit de cérémonie, qui
n'est qu'un remaniement maladroit du costume de la vieille Cour.
C'est, du reste, une idée bizarre du gouvernement
d'avoir songé à ressusciter et à imposer au monde officiel des modes
dispendieuses, au moment même où il pousse de toute façon à la rentrée des
émigrés. Les gens bien élevés, que la Révolution avait chassés et dont la
rentrée dans le monde pourrait contrebalancer ou corriger la grossière
vulgarité régnante, reviennent plus ou moins ruinés, incapables, pour la
plupart, de subvenir aux dépenses d'équipage et de domesticité qu'entraîne
le port habituel des costumes d'apparat à l'ordre du jour. Ils se tiennent
forcément à l'écart des réunions officielles, et les quelques nobles ayant
conservé un revenu suffisant pour vivre sur un grand pied font comme les
autres, par esprit de caste : ils s'abstiennent de paraître dans le grand
monde, ou bien ils affectent de n'y porter que les vêtements habituels :
frac, chapeau rond, souliers à rubans. Ils semblent répudier
systématiquement tout ce qui pourrait rappeler les modes anciennes. Par le
fait, toute une catégorie de personnes, que l'on aurait un intérêt évident à
attirer dans la sphère gouvernementale, s'en trouve écartée.
Dernièrement, dans un salon, j'entendais une femme
d'esprit émettre des réflexions analogues, à l'occasion de l'entrée du
chevalier de Boufflers avec sa femme, Mme veuve de Sabran. Il était affublé
d'une redingote transformée en frac, l'épée au côté, le chapeau de soie sous
le bras. Je m'empresse d'ajouter que, si le costume de Boufflers est râpé,
son esprit est loin de montrer la corde. Il fait paraître une nouvelle
édition de ses oeuvres mêlées avec des additions. J'y relève quelques
lettres humoristiques, écrites pendant une excursion dans la Haute-Silésie.
Elles ont le tour aisé et vif de celles qu'il envoyait de Suisse à sa mère,
au temps de sa jeunesse ; mais l'aversion du gouvernement pour la
philosophie et la littérature en général aura sans doute déterminé Boufflers
à ne pas réimprimer son Discours sur la vertu et son Discours sur la
littérature, publiés jadis à Berlin, dans lesquels il parle en si bons
termes de l'humanité, de la philosophie et des lettres. Je lis, dans un des
plus agréables récits de son récent volume, un charmant passage que je veux
reproduire, afin de vous montrer que l'écrivain a conservé sa grâce et sa
finesse :
« Il n'est que des moments pour le plaisir, et le
bonheur peut remplir toute la vie; ce bonheur, si désiré et si méconnu,
n'est que le plaisir fixé. L'un ressemble à la goutte d'eau et l'autre au
diamant. Tous deux brillent du même éclat, mais le moindre souffle fait
évanouir l'un, et l'autre résiste aux efforts de l'acier. L'un emprunte son
éclat de la lumière, l'autre porte la lumière dans son sein et la répand
dans les ténèbres : ainsi tout dissipe le plaisir, rien n'altère le bonheur.
»
Ce n'est certes pas de la littérature à la Boufflers
que j'ai entendue aujourd'hui à une séance de l'Athénée des Arts, dont les
réunions ont lieu dans l'église de l'Oratoire. L'assistance nombreuse et
fort mélangée a entendu, sans y comprendre plus que moi, la lecture de
mémoires traitant de l'importance et des progrès des arts mécaniques. Le
débit monotone et la prononciation défectueuse des lecteurs, joints à ni,
bruit continuel, ont dû contribuer beaucoup à mon impression maussade.
J'ai assisté avec plus d'intérêt au service célébré à
Saint-Sulpice pour les funérailles de l'acteur Molé. Il y avait foule, et le
convoi a été suivi par un grand nombre de membres de l'Institut, de savants
et d'artistes. Rœderer écrit à ce propos, dans le Journal de Paris - sa
remarque est caractéristique : - « L'église de Saint-Sulpice offrait le
spectacle le plus attendrissant : la religion, la philosophie et les arts
étaient réunis pour rendre les derniers honneurs à l'artiste célèbre que la
France regrettera longtemps. »
Sur les billets d'invitation aux obsèques, le défunt
est qualifié : Doyen des artistes du Théâtre-Français. Sa mort est une perte
sensible pour la scène où il était le seul représentant des traditions de la
haute comédie. Monvel, qui a prononcé le discours d'adieu à la barrière
menant à Antony, où Molé a été enterré dans sa petite propriété, est
assurément un vétéran très estimable des Français. Mais son âge et la chute
de ses dents lui ont enlevé une partie de ses moyens ; il n'a d'ailleurs
jamais eu, dans la tragédie, la situation exceptionnelle que Molé s'était
faite dans la comédie. Qui n'a pas vu Molé dans ses rôles d'homme du monde
ou de petit-maître, ne peut avoir l'idée de la façon dont il s'incarnait
dans son personnage et le faisait vivre, en alliant, avec une habileté
suprême, les façons d'un monde conventionnel aux singularités d'un type pris
dans la réalité. Un spectateur non prévenu ne se serait pas douté que Molé
jouait un rôle, tant il déployait d'aisance et de naturel. Il est vrai que
l'acteur vivait de la vie parisienne la plus raffinée, prenant part à ses
folies et à ses dissipations. Cette existence évaporée lui a coûté cher.
Bien qu'il ne fût plus jeune, il lui restait assez de vitalité pour
continuer à faire, pendant quelques années, la joie des amateurs de la haute
comédie; mais une belle recette, encaissée à la suite d'une représentation
donnée à son bénéfice pour l'aider à réparer les brèches de sa fortune, lui
avait fourni les moyens d'organiser une fête à sa maison d'Antony. La
réunion fut plus que joyeuse, et Molé, relevant à peine d'une grave maladie,
a dépensé là ses forces, comme un jeune écervelé. Cette « folle journée » a
hâté sa fin : il est mort absolument épuisé; vingt-quatre heures après son
décès, il a fallu inhumer à la hâte ses restes tombant en dissolution. La
triste coutume des enterrements précipités est, hélas ! universellement
suivie maintenant, à Paris; on y procède souvent le jour même de la mort.
Les comédiens du Théâtre-Français ont décidé d'abandonner, durant six
mois, à la famille Molé la part de recettes qui serait revenue à l'acteur
vivant. Le cadeau n'est pas à mépriser, car, bien que la multiplicité des
théâtres ait réduit notablement ces bénéfices, qui s'évaluaient jadis à
quarante ou cinquante mille livres par an pour les premiers sujets, ils
peuvent encore être estimés à la moitié de cette somme. On a de plus assuré
à l'orpheline mineure de Molé une pension de douze cents livres, jusqu'à la
fin de son éducation, et les acteurs viennent d'adresser au gouvernement une
pétition collective sollicitant une place en faveur du frère de leur
camarade.
Ce n'est pas seulement un excellent acteur qui
disparaît du Théâtre-Français; les traditions semblent destinées à
s'évanouir avec lui. J'aurai sans doute l'occasion de vous parler plus tard
de Fleury, qui fait actuellement une tournée en province, et que l'on
regarde comme capable, à certains égards, de remplacer Molé. Mais j'entends
déjà dire que son débit a de la raideur et de la monotonie, défauts
absolument étrangers au talent de Molé, comme à celui de Baptiste. L'étude
approfondie du rôle et la mise en oeuvre de toutes les ressources de l'art
étaient si complètement dissimulées sous les dons extérieurs de Molé et sous
son grand usage du monde, que jamais l'effort ou la recherche ne se laissait
deviner dans son action. Une nature d'artiste aussi heureuse est, en tout
temps, un phénomène ; s'il s'en rencontrait une pareille aujourd'hui, elle
ne trouverait certainement, ni dans les « Écoles », ni dans, la société, les
moyens de se développer et d'atteindre à la simplicité élégante qui ne peut
être que le résultat d'un art à la fois savant et libre.
En mentionnant tout à l'heure les « Écoles », je
songeais à l'enseignement public dont les consuls viennent de promulguer les
règlements. Le document est curieux à étudier, si l'on réfléchit qu'il va
s'appliquer dans un État dix fois séculaire, parvenu vers la fin du siècle
dernier au plus haut degré de culture dans les arts, les sciences et les
lettres.
Chaque lycée, limité au chiffre de deux cents élèves en
moyenne, n'aura que six professeurs : trois pour les lettres françaises et
latines, trois pour les mathématiques ; c'est là ce qu'ils devront enseigner
essentiellement. Accessoirement, les trois premiers maîtres donneront des
leçons de calcul, de géographie, d'histoire et de mythologie.
Il leur est recommandé d'avoir soin, pendant les six
classes élémentaires qui doivent s'achever en une période de trois ans, de
faire apprendre par cœur les plus beaux passages des classiques latins et
français. - Le cours de belles-lettres latines et françaises se fait en deux
ans, sous la direction d'un professeur spécial.
Pour les mathématiques élémentaires, même période de
trois ans, divisée en six classes, durant lesquelles on enseignera
accessoirement l'histoire naturelle, la chimie, la minéralogie et
l'astronomie. - Les mathématiques spéciales se font en deux ans, avec
professeur ad hoc.
Deux commissions choisies par le gouvernement sont
chargées de rédiger, pour l'enseignement des lettres et des mathématiques,
des instructions auxquelles les professeurs auront à se conformer
strictement. Elles désigneront les livres dont on se servira exclusivement;
les matières de l'enseignement de chacune des classes seront toutes réunies
dans le volume unique mis entre les mains des élèves; sous aucun prétexte,
les maîtres n'introduiront d'autres livres que ceux qui seront portés sur le
catalogue officiel.
Chaque lycée a un maître d'écriture, un maître de
dessin, un maître de danse. Les professeurs de musique sont admis, mais
devront êtres payés par les parents.
En principe, il y a un professeur pour cinquante élèves
; un quartier-maître pour en surveiller trente.
Passé douze ans, les élèves apprennent l'exercice
militaire, sous la direction d'un adjudant qui commande tous les mouvements
effectués dans la journée. Les élèves sont divisés en compagnies de
vingt-cinq ; chaque compagnie a un sergent et quatre caporaux, choisis parmi
les meilleurs sujets; il y a de plus un sergent-major qui supplée
l'adjudant, en cas d'absence.
Quand les élèves sortent en corps, ils sont conduits
par un censeur, un quartier-maître et un adjudant ; tout ce qui concerne les
réfectoires, les récréations, les promenades, les dortoirs, est organisé
d'après la division en compagnies. Lorsque le nombre des élèves d'un lycée
sera trop considérable, on fera deux divisions ; la première prendra
toujours la droite.
Les punitions consistent en prison, table de pénitence
et arrêts. L'élève mis aux arrêts est consigné dans un coin de la cour,
pendant les récréations; il ne doit pas franchir certaines limites.
Chaque lycée aura une bibliothèque de quinze cents
volumes; le catalogue de ces bibliothèques sera identique partout; aucun
livre nouveau ne devra être introduit, sans l'autorisation spéciale du
ministre de l'intérieur.
Enfin chaque lycée est pourvu d'un aumônier.
Incontestablement, le nouveau programme établit un
ordre exact dans les lycées, mais c'est un ordre à la spartiate. Qu'en
penseraient des Athéniens?
Jusqu'à présent, un fin lettré, le vieil académicien si
éclairé Suard, qui revient de sa longue (?) émigration, est seul à publier
le programme in extenso, dans son journal le Publiciste ; mais
il se garde du moindre commentaire.
L'éditeur du Journal de Paris, Rœderer, parle de
la suppression des Écoles centrales et de la prochaine ouverture des
lycées de Rouen, Strasbourg et Besançon ; mais, pas -plus que les autres
journalistes, il ne dit mot du programme. Si courtisan qu'il se montre, en
général, dans sa feuille, il doit se trouver embarrassé, entre son rôle de
thuriféraire et le désir de conserver sa place honorable parmi les amis des
sciences et des lettres. Sa position est d'autant plus délicate, en ce
moment, qu'il vient d'insérer des vers, faisant un éloge pompeux du Premier
Consul, - éloge cadrant assez mal avec les programmes en question, car on
sait pertinemment que ces programmes sont l'œuvre propre du Consul qui les a
substitués à un plan d'études soigneusement élaboré par Cuvier, Fourcroy et
autres. Ces savants avaient voulu mettre à profit les progrès réalisés dans
les pays les plus avancés et s'étaient inspirés d'un véritable libéralisme
scientifique. On m'assure que Cuvier, - absent en ce moment, -
particulièrement bien informé des méthodes d'enseignement suivis en
Allemagne, s'était efforcé d'en tirer le meilleur parti possible pour
l'enseignement publie en France.
Afin, de vous donner en passant une idée du lyrisme
qu'inspire le Premier Consul, voici quelques expressions prises au hasard
dans l'ode à laquelle j'ai fait allusion. Elle est intitulée : Napoléon
Bonaparte ; elle a paru dans le Journal de Paris, à l'heure où
Sicard publiait les programmes. On y appelle Bonaparte: « Ce sage »;
- on dit : « L'œil de Napoléon débrouille le chaos »; - on le compare
à « l'astre majestueux qui échauffe et éclaire la terre ». - Plus
loin, je lis : « où de si grands desseins surpassent la matière, où les
héros sont des dieux tout-puissants » ; - « le beau, le vrai, se peut
à peine croire », - « il rend l'ordre au monde et l'éclat aux cités
». - A mon avis, « ordre » n'implique pas nécessairement uniformité.
Vous aurez remarqué qu'il n'est pas question de grec
dans le nouveau programme. Bonaparte paraît, en effet, avoir une antipathie
décidée contre ce qui vient de la Grèce. On assure que les institutions
privées qui, en l'absence d'écoles publiques, s'étaient ouvertes en grand
nombre, et dans lesquelles on enseigne le grec, ont été invitées à se
renfermer désormais dans les termes des règlements. Je ne doute pas
d'ailleurs, étant donné l'esprit de soumission régnant, que les chefs de ces
établissements n'eussent adopté spontanément, sans avis préalable de
l'autorité supérieure, les programmes dans leur rigueur.
Les préférences du Premier Consul sont acquises à Rome;
elles se décèlent par son goût exclusif pour les pièces romaines de
Corneille, et, parmi celles-ci, pour Cinna. En général, il paraît rarement
au théâtre; il vient toutefois de faire infraction à ses habitudes en faveur
de Mlle Georges, jouant dans Tancrède. Depuis près de deux mois que je suis
ici, c'est la première fois qu'il assiste à une représentation. On dit que
Mme Bonaparte a fait cadeau d'un magnifique manteau écarlate, brodé en or, à
la jeune reine des Français. On chuchote aussi que Lucien Bonaparte est en
négociation avec Mlle Raucourt, aux fins de s'assurer les faveurs de la
belle débutante; un cadeau princier et un souper fin auraient été les
préliminaires de l'affaire. De mauvaises langues prétendent enfin que le
ministre de l'intérieur vient, de son côté, de jeter son dévolu sur Mlle
Volnais. Un mot, à cette occasion, des mesures de sûreté prises lorsque le
Premier Consul va au spectacle. Un détachement de gardes à cheval galope en
avant de la voiture pour recevoir le Consul à la porte du théâtre; un second
détachement suit de façon que le Consul soit complètement entouré. A
l'intérieur du théâtre, le service est fait par des soldats à pied de la
garde, formant une double haie de l'entrée au couloir des loges. Aussitôt le
Consul descendu de voiture, pendant qu'il passe au milieu de la double haie
de fantassins, les cavaliers mettent rapidement pied à terre, attachent
leurs chevaux deux par deux et, laissant quelques hommes à leur garde,
marchent, le sabre au clair, à la suite du Consul; ils stationnent ensuite
devant la porte de sa loge pendant la représentation. A la sortie, mêmes
évolutions, en sens inverse.
Quant à moi, modeste spectateur payant, j'ai été, sans
escorte, entendre l'autre soir Mithridate de Racine; cette représentation
m'a fait grand plaisir. Saint-Prix s'est bien acquitté du rôle du roi du
Pont. De vieux habitués, mes voisins, ont prétendu que son jeu est moins
d'inspiration personnelle que l'écho d'heureuses réminiscences de Lekain.
Pour mon compte, Saint-Prix m'a paru réellement pénétré de l'esprit de son
personnage dans les endroits marquants. Mlle Bourgouin - Monime, a
déclamé correctement plutôt qu'elle n'a bien joué; elle s'est montrée
beaucoup plus à son avantage dans le Florentin, petite pièce qui,
suivant l'usage, a succédé à la grande. - Une autre soirée s'est passée au
Théâtre Feydeau, qui donne une gentille nouveauté : Michel-Ange,
opérette de Nicolo, jeune compositeur originaire de l'île de Malte. Le
libretto, insignifiant, a pour sujet une anecdote apocryphe de la vie du
grand artiste ; mais la musique est gracieuse et contient de charmants
motifs. Elle est dans le bon style de l'opéra-buffa, et les artistes
l'ont parfaitement rendue ; Mme Saint- Aubin, en particulier, a été la
soubrette que l'on peut rêver.
Hier, au Théâtre Louvois, nous avons eu un concert
organisé par Rode. Afin d'échapper au règlement de police draconien qui
prélève le quart de la recette brute des concerts, tandis que l'on n'exige
que le dixième pour les représentations théâtrales, on avait donné, avant lé
concert, une pochade : le Pacha de Suresne. Retardé par un dîner, je
n'ai vu de cette saynète que les costumes turcs des acteurs qui s'étaient
groupés dans une avant-scène pour entendre le concert.
L'archet de Rode a été merveilleux : justesse, qualité
de son, attaque, expression parfaites; les difficultés les plus ardues
enlevées avec un brio sans pareil. Parfois, son style est singulier, mais
toujours plein de goût; il a réussi à s'approprier l'originalité de son
maître Viotti, et a su y joindre, dans l'adagio et la romance, un sentiment
naïf et tendre qui est bien le reflet de son aimable caractère. Frédéric et
Ozy ont brillamment joué un concerto pour cor et basson ; je ne saurais
toutefois égaler leur exécution ni leur style à ceux de notre Lebrun et de
Ritter. En revanche, une cantatrice italienne, la signora Rolando, de
l'Opéra-buffa, je crois, m'a infligé un véritable supplice, avec ses
airs de bravura à la mode. J'ai eu une nouvelle preuve du défaut de
sens musical chez les Parisiens. Bien que la signora exécute
lourdement ses vocalises et chante souvent faux, elle s'est fait applaudir,
grâce son aplomb imperturbable. Les dispositions des auditeurs sont
d'ailleurs aujourd'hui telles, que les excellents artistes de Feydeau en
sont à regretter d'avoir laissé s'éloigner cette chanteuse qui a fait partie
de leur troupe, et à désirer son retour, afin de combler, au regard du
public, le vide causé par le départ de Mlle Phillis.
Non ! je ne digère pas cette signora Rolando,
qui se moque du public le plus élégant de la capitale !