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Dans
la majorité de groupe de reconstitution, les commandements
vocaux sont prononcés de la manière dont ils sont
écrits dans l’ordonnance, c’est-à-dire dans le règlement
du 1er août 1791. Dans n’importe quelle armée moderne,
les ordres sont, au contraire, prononcés de façon
beaucoup moins académique, plus brutale, en estropiant les
mots, en gueulant. La raison en est qu’un ordre prononcé
de façon sèche entraîne davantage une exécution
brusque et simultanée. Qu’est-ce qui peut faire penser que
les ordres n’étaient pas prononcés de la même
façon à la fin du 18ème siècle, ou à
l’époque impériale ? Croirait-on que les militaires
de l’époque attachaient moins d’importance à une exécution
nette et brusquée du mouvement ordonné ?
Depuis toujours, les militaires ont l’habitude de commander un peu
rudement. C’est ce que confirme l’auteur du Nouveau Cathéchisme
militaire (1789), quand il écrit :
"Le commandement en général doit être
brusque et précipité, pour caractériser le
militaire qui le prononce et qui l’exécute." (p.24)
Mais dans ce cas, m’objecterez-vous, pourquoi le règlement
n’a-t-il pas écrit les ordres comme ils se prononçaient
? La réponse est simple, d’abord parce que ce n’était
pas nécessaire. Tout soldat, tout officier, fait son apprentissage.
Et cet apprentissage se fait en exécutant des ordres. Avant
de donner des ordres, tout sous-officier ou officier en a entendu
donner des centaines de fois. Ce qui fait qu’il a pu apprendre la
façon dont on les prononçait, et que quand il a dû
les donner à son tour, il les a poussés comme il les
a toujours entendu pousser. Et puis, il aurait été
peu convenable d’écrire dans le règlement les ordres
comme ils se disaient. N’est-ce pas d’ailleurs le principe de l’écriture
en français, du moins tant qu’on n’appliquera pas l’orthographe
phonétique ?
Mais si la réflexion peut déjà nous persuader
que les ordres n’étaient pas prononcés comme ils sont
écrits dans le règlement, il y a heureusement plusieurs
témoignages écrits qui confirment ce que j’avance
ici. On les trouve dans des documents antérieurs à
la Révolution comme dans des témoignages postérieurs
à l’Empire.
On notera d’abord que le règlement, titre II, Ecole du
soldat, traite en quelques lignes la façon de donner
les ordres :
"Le ton de commandement sera toujours animé, et
d’une étendue de voix proportionnée au nombre de recrues
qu’on exercera.
Il y aura deux sortes de commandements : les commandements d’avertissement,
et ceux d’exécution.
Les commandements d’avertissement, qui seront distingués
dans l’ordonnance par des lettres italiques, seront prononcés
distinctement et dans le haut de la voix, en allongeant un peu la
dernière syllabe.
Les commandements d’exécution seront distingués dans
l’ordonnance par des majuscules, et seront prononcés d’un
ton ferme et bref.
Les commandements dont l’énonciation sera séparée
dans l’ordonnance par des tirets, seront coupés de même
en les prononçant."
L’ordonnance
sur l’exercice de 1776 était plus précise sur la façon
de prononcer les ordres :
"Les commandements doivent être prononcés
d’une voix haute et d’un ton ferme. Chaque commandement est séparé
en deux ; le premier est d’avertissement et doit être articulé
avec lenteur et netteté, pour que les soldats sachent ce
qu’ils vont exécuter et qu’ils s’y préparent.
Le second est d’exécution et doit être prononcé
avec toute le précipitation et la brieveté possible,
en affectant de pousser la voix avec effort, comme pour donner de
l’impulsion à ceux qui doivent agir à l’instant où
il finit."
Ce sont évidemment les commandements d’exécution qui
nous importent ici. Comment prononcera-t-on d’un ton ferme et bref,
lorsque l’on veut faire déposer les fusils, l’ordre "sur
vos armes" ?
Où fera-t-on porter l’accent, sur le premier, sur le second,
ou sur le troisième mot ?
Dans chaque cas, on risque de voir l’exécution de l’ordre
par la troupe se dérouler à des moments différents
et donc, produire un maniement d’armes peu militaire. La seule façon
efficace de prononcer cet ordre est de le réduire à
sa plus simple expression, c’est-à-dire, de crier “arm”.
Même le plus obtus des conscrits aura compris de quoi il s’agit.
LES PREMIERS
COMMANDEMENTS
Mais reprenons par le début, et prenons les premiers commandements
du règlement. La première leçon de l’école
du soldat est consacrée à la position du soldat sans
les armes, et au mouvement de tête à droite et à
gauche.
Le premier commandement est donc écrit dans le règlement
:
Tête
= A DROITE.
L’ordonnance
du roi du 1er juin 1776 précisait, à côté
des commandements tête à droite et tête
à gauche : “on ne prononce point l’A dans ces commandements”.
Notons qu’il n’y a que très peu de différences au
niveau de l’école du soldat entre l’ordonnance de 1776 et
le règlement de 1791, et il me paraît difficile de
soutenir qu’on ait pu persuader les caporaux, sergents et autres
instructeurs qu’il était devenu important et plus élégant
de dire distinctement A droite ou A gauche. Non,
il me semble plus logique de penser que les rédacteurs du
règlement de 1791 n’ont plus pensé nécessaire
de préciser ce que tout le monde savait et qui allait de
soi, et qui se transmettait spontanément d’instructeur en
soldat.
A la création des gardes nationales, quand une nouvelle armée
est sortie des pavés et a dû être encadrée
par des sous-officiers qui n’avaient pas été soldats
eux-mêmes, il a fallu leur apprendre rapidement le B A BA
du métier. C’est ce qui permet de retrouver dans de petits
manuels la façon dont se prononçaient réellement
les ordres. Ainsi on lit dans le Nouveau Manuel militaire
(dédié aux sans-culottes, en l’an II) :
(...) "les mouvements de tête, dont les commandements
sont
Tête-droite tête - gauche."
Pour achever de se convaincre qu’on disait tête - droite,
au lieu de tête - à droite, épinglons
encore cet extrait du Conscrit de 1813, ouvrage postérieur
à l’époque qui nous concerne, mais écrit d’après
les témoignages des survivants de l’épopée,
et qui est probablement bien plus vrai, grâce au souffle artistique
qui l’anime, que nombre de mémoires ou de souvenirs :
"La manière de faire tête droite et tête
gauche, d’emboîter le pas, (...) c’est l’affaire d’un ou deux
mois avec de la bonne volonté." (chap. X)
Les ordres
suivants de l’école du soldat sont indiqués de la
façon suivante dans le Nouveau Manuel militaire :
Par le flanc droit, à - droite.
Par le flanc gauche, à - gauche.
Peloton, demi-tour - droite.
Nous aurons l’occasion de voir, dans la suite de cette étude,
que les ordres n’étaient pas tous donnés de la même
façon dans toutes les unités, mais que les traditions
de corps ont dû introduire des pratiques différentes.
Ce qu’il importe de retenir, c’est la façon de pousser les
ordres d’exécution. Dans ce dernier exemple, il me semble
qu’on aurait dit plus simplement :
Par le flanc droit, - droite.
laissant tout-à-fait tomber l’a, comme dans les commandements
pour la tête.
LE MANIEMENT
D’ARMES
Pour les mouvements de maniement de l’arme, il faudrait dire, si
on parlait comme l’ordonnance :
Présentez = vos armes ;
portez
= vos armes ;
l’arme = au bras ;
reposez-vous = sur vos armes.
Le Nouveau
Cathéchisme militaire, pour l’instruction des gardes nationales
de Paris (1789), les écrit de la façon suivante
:
Présentez ..... armes ;
portez
.....armes ;
arme ..... bras ;
posez-vous ..... armes.
Le Nouveau
Manuel militaire (1793) les écrit de la façon
suivante :
Présentez - armes ;
portez - armes ;
l’arme - bras ;
reposez-vous - armes.
Quant au Conscrit de 1813, on y trouve encore les passages
suivants :
"Pour nous rafraîchir encore les idées, à
chaque instant on nous criait “Portez arme ! Arme bras !"
(chap. XI)
(...) Mais alors le commandement de “Portez armes !” me fit
songer à autre chose. (chap. XIII)
De ce qui précède, on déduira facilement la
façon de prononcer les commandements :
Vos armes - à terre ;
Relevez - vos armes ;
l’arme
- à volonté ;
l’arme sous le bras - gauche.
Quant aux commandements
de la charge en douze temps, ils présentent quelques particularités
que nous étudierons dans la prochaine livraison.
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