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Vichard
ou le Prolétaire (1).
Hommes riches
et puissants, vous demandiez naguères, dans votre ironie
superbe, qu'est-ce qu'un prolétaire ? je vais vous
le montrer!... Aurez-vous pour lui quelque pitié! oui, sans
doute, de la froide pitié ; vous lui accorderez peut-être
bien encore quelqu'aumône afin de parader votre philanthropie...
Oh! ce n'est pas assez ! j'exige davantage ! je veux du respect
pour ce Prolétaire ! Rougis en le voyant, toi, jeune homme,
si la fortune n'a pas encore gangrené ton cœur ! et vous
aussi, honnêtes gens, égoïstes que Barthélémy
a marqués au front d'un fer chaud, vous tous qui, saturés
de jouissances, blasés par les plaisirs, avez parqué
l'espèce humaine en deux castes riches et pauvres , rougissez!
mais non ! vous ne rougirez pas ! n'importe, avalez jusqu'à
la lie le calice de mon indignation !
Dans ce palais de justice, tableau hideux des misères de
l'espèce humaine, s'avance un homme à la stature haute
et ferme, c'est Maurice Vichard. Aux haillons qui le couvrent, on
reconnaît le prolétaire. A-t-il commis quelque crime
? peut-être qu'un exemple funeste, le défaut d'éducation,
l'indigence, le livrèrent sans appui et sans frein à
l'empire des passions , au joug du vice. Quel être humain
est exempt de passions et de vices ? non! non! le prolétaire
est pauvre, mais il est vertueux ! Vichard vient rendre compte de
sa pauvreté ; car les hommes heureux, pour mieux s'étourdir,
en ont fait un crime ! Vichard qui n'a jamais baissé les
yeux, qui n'a jamais ployé les genoux comme un vil courtisan,
Vichard tremble et pâlit pour la première fois; il
craint les suppositions injurieuses. Mais un bruit rapide a circulé,
la foule murmure : j'apprends quel est cet accusé. Juges,
descendez et venez embrasser ce prolétaire... A lui les honneurs
de la séance.
A sa moustache que l’âge a blanchie, à cette cicatrice,
honorable décoration du brave, reconnaissez l'un des vainqueurs
de la Bastille, le grognard de l'empire, le soldat citoyen des cent
jours.
Vichard, marin en 1780, redevenu citoyen à l'aurore de notre
sainte révolution , monte à la brèche de la
Bastille à la voix puissante du tribun Camille Desmoulins,
et l'assemblée nationale, récompensant son courage
et son civisme, lui décerne, par un décret spécial,
la couronne murale, un fusil d'honneur. Soldat de la république,
soldat de Napoléon, il commence à Jemmapes et finit
à Waterloo. Soixante batailles ont vu le prolétaire
; aujourd'hui soixante et douze ans pèsent sur lui... Il
est sans ressources, sans moyens d’existence, sans pain et peut-être
sans asile ! La société qu'il défendit si longtemps
viendra-t-elle au secours de ce vétéran des grands
jours ? il ne porta jamais, lui, les armes contre son pays
! il ne prêta qu'un serment, il fut toujours fidèle
à son drapeau! ? ingrate patrie !... Il est prévenu
de mendicité!.. On l'arrête! on le traîne à
la barre d'un tribunal, et un avocat du Roi requiert une condamnation
; mais la pudeur s'empare des juges.... Ils l'ont absous ! voilà
sa seule indemnité…
Honneur à vous, Lemarquière, dont les sages
réflexions ont trouvé un écho dans les cœurs
navrés de vos auditeurs! Honneur à vous, docteur,
Souberbielle qui vous êtes déclaré
le patron du prolétaire, qui avez réchauffé
sa main dans la votre... Avocats! Médecins! il est vrai de
dire qu'on vous trouve en majorité sur le chemin de l'honneur
et de la liberté. Cela console et soutient la classe prolétaire.
Marius Ch.... (*)
(1)Voir la Gazette des Tribunaux, 10 mars 1832, n° 205.
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