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Guilleminot
(Armand-Charles, comte), lieutenant général, naquit
à Dunkerque, le 2 mars 1774. Quelques biographes le font
naître en Belgique. Peut-être est-ce là qu'il
fut élevé, car on le trouve mêlé, dès
l'âge de seize ans, aux troubles du Brabant. Ces premières
tentatives de révolte contre la maison d'Autriche ayant été
vigoureusement réprimées, le jeune Guilleminot gagna
lestement la frontière et s'enrôla dans l'armée
française, où il obtint, en 1792, le grade de sous-
lieutenant. Il était à la bataille de Nerwinde. Quelque
temps après, il fut dénoncé comme étant
un des complices de Dumouriez. On l'enferma avec d'autres officiers
dans la citadelle de Lille. Mais il échappa aux geôliers
comme il avait échappé à la police autrichienne.
Il se réfugia alors dans un autre corps d'armée. C'était
le plus sûr asile. Pichegru l'adjoignit à son état-major.
Promu capitaine en l'an 6, il conquit en Italie le grade de chef
de bataillon, et devint alors aide de camp de Moreau. Il fit, comme
on voit, son apprentissage de la guerre sous trois chefs illustres,
mais dont la gloire n'est pas sans quelques nuages. Moreau l'emmena
sur le Rhin et le garda à ses côtés jusqu'à
la paix d'Amiens. Attaché en 1802 au dépôt de
la guerre, Guilleminot y travaillait à la carie de Souabe,
lorsqu'il se vit impliqué dans le procès de ses anciens
chefs, Pichegru et Moreau, à la suite de la conspiration
de Georges Cadoudal. S'il était dans le secret des conjurés,
c'est ce qu'on ne put tirer au clair ; mais cela n'empêcha
pas le premier consul de le mettre à la réforme. Il
ne rentra en activité qu'en 1805. On l'attacha au grand quartier
général de l'armée d'Allemagne. Il avait étudié
ce pays avec Moreau, et le connaissait bien. Les renseignements
topographiques qu'il fournit à l'empereur lui furent très
utiles, tant pour la marche que pour le cantonnement de ses armées.
Berthier le fit nommer, après cette campagne, adjudant-commandant.
Son intelligence, sa discrétion, ses connaissances variées,
acquises sous la tente, son aptitude au travail, son coup d'œil
pénétrant, sa souplesse, semblaient le rendre propre
à tous les genres d'emplois, surtout à la diplomatie
quelque peu embrouillée de ce temps-là. On mit ses
talents à l'épreuve en l'envoyant à Constantinople,
avec le titre de chargé d'affaires. Après avoir poussé
le sultan à la guerre contre la Russie, on avait fait la
paix à Tilsitt en partie à ses dépens, et il
s'agissait à présent de lui persuader qu'il ferait
prudemment de se concilier avec l'empereur Alexandre. On voulait
l'amener à sacrifier les provinces du Danube, et pendant
qu'on lui offrait en échange on ne sait quels avantages,
on continuait de discuter à St-Pétersbourg et à
Paris le plan de partage de ses États. Il y a apparence que
Napoléon, encore incertain sur ses projets à venir,
n'était sincère ni à St-Pétersbourg
ni à Constantinople. Quoi qu'il en soit, le général
Horace Sébastiani, à qui il avait d'abord confié
cette difficile mission près du sultan, avait échoué.
Guilleminot ne fut pas plus heureux. Il quitta donc ce poste diplomatique,
et passa dans l'état- major du maréchal Bessières.
Sa conduite au combat de Médina del Rio-Secco (juillet 1803)
lui valut une brigade, avec la croix d'officier de la Légion
d'honneur. Il servit en 1809 en Italie, et reparut en Espagne en
1810. En 1812 il était à la Moskowa, à la tête
d'une brigade du 4e corps, et pendant la fatale retraite il remplissait,
à ce même corps d'armée, les fonctions de chef
d'état- major. Général de division en 1813,
il se distingua en plusieurs rencontres, particulièrement
le 5 septembre à Zahna, où il battit le général
prussien Robschütz, et le 28 à Dessau, d'où il
repoussa les Suédois, qui laissèrent entre ses mains
quantité de prisonniers. Un mois après, chargé
de maintenir les communications du 4e corps avec le gros de l'armée,
il repoussa à l'arme blanche deux divisions bavaroises ;
l'engagement eut lieu sur un pont, près de Hanau. L'ennemi
y perdit 500 hommes. Guilleminot coopéra avec beaucoup de
sang-froid à la retraite d'Allemagne. Il fut un des jeunes
généraux en qui le gouvernement de la restauration
plaça d'abord sa confiance. Il avait quarante ans, de beaux
services, et l'on n'avait pas oublié ses anciennes liaisons
avec Dumouriez, puis avec Pichegru et Moreau. Louis XVIII le nomma,
à son retour, grand officier de la Légion d'honneur
et chevalier de St-Louis. Lorsqu'on apprit le débarquement
de Cannes et la défection des troupes du Midi, on organisa
à la hâte les cadres d'une autre armée, destinée
à marcher contre Napoléon. Le duc de Berry, qui devait
prendre le commandement de cette armée, choisit pour chef
d'état-major le général Guilleminot. Mais la
marche rapide de Napoléon rendit ces préparatifs inutiles.
Guilleminot était, trois mois après, chef d'état-major
du maréchal prince d'Eckmühl, qui commandait l'année
de Paris, au moment de la seconde invasion. Il alla, de sa part,
porter des propositions d'arrangement au maréchal Blücher,
déjà campé à St-Cloud. Après
la capitulation, il suivit l'armée sur la Loire, d'où
il envoya bientôt son adhésion au gouvernement royal.
Cette triste et à jamais regrettable période des cent
jours avait été plus funeste à la France que
toutes ses révolutions passées. Outre le spectacle
affligeant de la défection presque universelle des grands
corps de l'État, des ingratitudes, des palinodies, des bassesses
sans nombre, qui, en si peu de temps, deux ou trois fois répétées,
vinrent déconcerter et démoraliser les masses, on
eut à subir toutes les représailles de l'Europe, la
longue occupation, les tributs de guerre et le morcellement du territoire.
Le général Guilleminot, rentré en grâce
et bientôt en faveur, fut chargé de s'entendre avec
les commissaires étrangers pour fixer la démarcation
de nos frontières de l'est, depuis Bade jusqu'au Piémont,
conformément aux traités de1815. Il accepta cette
mission au printemps de 1816, et fut en récompense nommé
à son retour directeur général du dépôt
de la guerre. Il avait été compris comme lieutenant
général dans le corps royal d'état-major, belle
et utile institution militaire créée en 1818 par cette
restauration qu'on accusait de vouloir affaiblir l'armée,
et à qui on reprochait tout, jusqu'à ses services.
En 1823, quand le ministère de M. de Villèle eut arrêté
en principe le projet d'intervention en Espagne, plusieurs officiers
généraux furent consultés sur les moyens d'exécution.
L'entreprise n'était pas sans périls. D'une part,
on avait à redouter quelques complots militaires, et l'on
disait même qu'une partie de l'armée était prête
à donner la main aux révolutionnaires espagnols. Il
y avait en France un parti qui travaillait de toutes les manières
à ébranler la fidélité des troupes.
D'autre part, bien qu'il ne s'agît plus de conquérir
l'Espagne, il s'agissait encore de lutter contre les cortès,
et les souvenirs de 1808 ne pouvaient être oubliés.
De sorte que ceux qui ne craignaient pas la défection des
régiments craignaient au moins la défaite. Ces sinistres
prédictions n'arrêtèrent pas le roi. Parmi les
plans de campagne qui furent proposés on adopta celui qui
était l'ouvrage du général Guilleminot. Pour
mieux en assurer le succès, le duc d'Angoulême emmena
ce général avec lui, en qualité de chef d'état-
major. Mais une manœuvre imprévue des sociétés
secrètes vint, dès le début de la campagne,
compromettre sa position. Des caisses remplies de cocardes et de
drapeaux tricolores surmontés de l'aigle impériale
furent saisies à Bordeaux; elles étaient expédiées
de Paris sur Bayonne, et adressées à M. de Lostende,
un des aides de camp du major général. Il est probable
qu'elles devaient être réclamées à Bayonne,
au nom de M. de Lostende, par le véritable destinataire qui
n'a jamais été connu, et qu'il y avait des gens qui
comptaient se servir de ces emblèmes pour provoquer les soldats
à la révolte. On crut à Paris, dans le premier
moment, à la complicité de M. de Lostende, et l'on
porta même plus haut le soupçon. Le maréchal
duc de Bellune, ministre de la guerre, fut à l'instant nommé
major général , et partit en poste pour Bayonne, avec
ordre de faire arrêter le comte Guilleminot. Mais le duc d'Angoulême,
plein d'une noble confiance dans la loyauté de son lieutenant,
lui ordonna de continuer ses fonctions, et fit dire au roi qu'il
résignerait lui-même son commandement si l'on voulait
pousser les choses plus loin. Cette généreuse fermeté
toucha le roi. Le duc de Bellune fut rappelé. M. de Lostende,
complètement justifié, fut promu à un grade
supérieur. La guerre fut du reste courte et heureuse, grâce
à la discipline de l'armée, à l'habileté
des chefs et à la sagesse du prince généralissime,
auteur de la proclamation d'Andujar. Ceux qui avaient prédit
et peut-être souhaité un autre dénouement s'en
vengèrent en disant que cette guerre n'avait été
qu'une promenade militaire sans péril et sans gloire. Le
général Guilleminot fut, en récompense de ses
services, élevé à la pairie dès le mois
d'octobre 1823 ; on lui donna, en outre, le grand cordon de la Légion
d'honneur et la grand- croix de St-Louis. Enfin on lui offrit, à
son retour d'Espagne, l'ambassade de Constantinople, qui était
alors comme aujourd'hui un des postes diplomatiques les plus brillants
et les plus difficiles. On conviendra qu'il faut être bien
aveuglé par l'esprit de parti pour voir dans toutes ces faveurs
un signe de malveillance et un commencement de disgrâce. C'est
pourtant sous ce jour que l'histoire est présentée
dans la Biographie de Rabbe et dans l'Encyclopédie des gens
du monde. Cette ridicule interprétation ne s'appuie que sur
le procès dans lequel les généraux Guilleminot
et Bordesoulle furent l'un et l'autre impliqués en 1826,
à l'occasion des fournitures de l'armée d’Espagne.
On sait que des manœuvres illicites avaient été employées
par Ouvrard et les autres munitionnaires pour faire hausser le prix
des denrées nécessaires à l'entretien de l'armée.
On fut donc obligé de conclure avec eux des marchés
tellement onéreux que le ministre de la guerre, qui était
en ce temps-là obligé de rendre aux chambres un compte
détaillé et sérieux de son administration,
refusa de les approuver. On trouva, en apurant les comptes, des
traces de malversation. L'affaire fut portée devant la justice,
et les généraux qui avaient traité directement
avec Ouvrant furent enveloppés dans le procès. Le
ministère ne pouvait ni ne devait l'empêcher. C'est
la cour royale qui mit en cause les généraux, en les
renvoyant avec le principal accusé devant la cour des pairs.
De son côté, la cour des pairs, après avoir
instruit l'affaire, mit les généraux hors de cause,
et renvoya Ouvrard devant la justice ordinaire. Le général
Guilleminot publia à cette occasion un mémoire justificatif
intitulé Campagne de 1825 , exposé sommaire des mesures
administratives adoptées pour l'exécution de cette
campagne, Paris, 1826, in-8°. Il y avait à la cour si
peu de malveillance contre lui qu'il conserva son ambassade, poste
de confiance, opulent et très envié. Il y aida le
sultan Mahmoud dans ses premières tentatives de réforme,
principalement en ce qui concerne l'armée. La révolution
de juillet 1830 le trouva encore à Constantinople. Il fit
ce qu'il fallait pour y rester. Il y resta, République, empire,
restauration, gouvernement de juillet, lui étaient également
indifférents. Il était de ceux qui disent qu'ils servent
leur pays sans s'inquiéter de la forme du gouvernement ,
comme si le scepticisme politique était une vertu, et la
facilité à prêter de nouveaux serments un beau
signe de patriotisme. On n'a pas oublié combien les commencements
du règne de Louis-Philippe furent difficiles, surtout à
l'étranger. Malgré les efforts de ce prince pour maintenir
la paix, la guerre parut assez longtemps inévitable. Le général
Guilleminot, assez bien placé pour en juger, crut, à
un certain moment, qu'on ne pourrait pas la conjurer, et sans attendre
des instructions formelles de son gouvernement, il prit sur lui
d'engager la porte ottomane à faire des préparatifs
militaires, lesquels devaient naturellement être dirigés
contre la Russie. Il paraît que l'ambassadeur russe eut connaissance
de la note du général Guilleminot. L'empereur en fit
des plaintes. Le général fut rappelé. C'était
au mois de juin 1851. Lorsqu'il reparut à la chambre des
pairs, il voulut donner des explications sur sa conduite et justifier
une imprudence par des indiscrétions diplomatiques. Le général
Sébastiani, alors ministre des affaires étrangères,
s'y opposa, et l'incident n'eut pas de suite. Guilleminot avait
conservé, pendant sa longue ambassade, le titre et les émoluments
de directeur général du dépôt de la guerre.
II en reprit les fonctions à son retour. C'était,
sans contredit, un des généraux les plus instruits
de l'armée. On dit qu'il a laissé des mémoires
fort instructifs sur les guerres contemporaines. Il est mort à
Bade au mois de mars 1840, âgé de 66 ans. C—ET.
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