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JEAN
COLUCHE. — Il n'est personne qui, en flânant devant les boutiques
des marchands d'estampes, n'ait rencontré une lithographie
ou une gravure à la manière noire, représentant
un jeune soldat qui barre le passage à Napoléon. Sous
la gravure est écrit, en forme de titre : On ne passe
pas ! et plus bas : « Fussiez-vous le petit
caporal, vous ne passeriez pas. » (Historique.)
C'est historique,
en effet, et nous connaissons le héros de l'aventure. Jean
Coluche (tel est son nom) est né en 1780, au village de Gastins,
près de Rozay-en-Brie (Seine-et-Marne) ; fils d'un ancien
soldat, et conscrit de l'an IX, il fut incorporé dans le
17e léger, et toute sa vie militaire s'est passée
dans le même régiment. Ses premières armes datent
de la campagne de Prusse, en 1806. Il était à Iéna,
à Eylau, à Varsovie. Plus tard, il fit toute la glorieuse
campagne de 1809 en Autriche. Il assista à Essling et à
Wagram, où il fut blessé. Le 17e léger fit
ensuite partie de l'armée de Masséna, en Portugal,
et Jean Coluche resta dans la Péninsule jusqu'au moment où
une partie des troupes françaises furent rappelées
d'Espagne pour la défense du territoire, après les
désastres de la retraite de Russie et le soulèvement
de l'Allemagne en 1813. Il fit la campagne de France, fut blessé
d'une balle à la tête à l'affaire d'Arcis-sur-Aube,
rentra au service lorsque Napoléon revint de l'île
d'Elbe, et prit part à la victoire de Ligny, deux jours avant
Waterloo. La paix faite, il revint dans son village, où il
a fermé les yeux à sa vieille mère, après
lui avoir donné des arrière petits-enfants. Jean Coluche
est lieutenant de la garde nationale du canton de Nangis. Nous donnons
son portrait avec l'épaulette que lui a conférée
l'élection de ses concitoyens.
Voici maintenant
l'aventure qu'ont reproduite le crayon et le burin : c'était
en 1809, après la victoire d'Ebersberg, bourg sur la Traun,
entre Linz et Vienne. Ce bourg a été livré
aux flammes pendant l'action, et Napoléon se logea dans une
maison à demi ruinée par l'incendie. Jean Coluche
fut mis en faction devant sa porte avec un soldat de la garde impériale,
et la consigne qu'ils reçurent était de ne laisser
entrer ni sortir aucune personne qui ne fût accompagnée
d'un officier d'état-major. Vers le soir, et bien enveloppé
de sa modeste redingote grise, Napoléon quitta son palais
de décombres. « On ne passe pas! »
lui cria Coluche. Pensif et la main dans la poitrine, Napoléon,
sans l'écouter, continua de marcher à sa rencontre.
Coluche prit son fusil à deux mains : « si tu
fais encore un pas, je te.... plante ma baïonnette dans le
ventre. » Au bruit de cette scène des généraux
accoururent, et leurs aides de camp, et tout l'état-major.
Napoléon rentra ; Coluche fut entraîné
au corps de garde, « Tu es perdu, mon garçon,
lui disaient ses camarades ; tu as fait main-basse sur ton
empereur. On fera un exemple sur ton pauvre corps. — Un moment,
un moment, répondait Coluche et ma consigne donc ! J'expliquerai
tout cela devant le conseil de guerre. » On vint le chercher
de la part de l’empereur. Il entra, la main à son bonnet.
« Grenadier, lui dit Napoléon, tu peux mettre
un ruban à ta boutonnière, je te donne la croix. —
Merci, mon empereur, répondit Coluche ; mais il n'y
a plus de boutique dans ce pays-ci pour acheter un ruban. — Eh bien,
prends une pièce à un jupon de femme ; ça
fera la même chose. »
Voilà l'histoire vraie, qui vaut bien, je crois, l'histoire
composée. |
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