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Dernière modification: 29/11/2002

Exposé de la situation de la République.

  1er Frimaire an X.

C’est  avec une douce satisfaction que le Gouvernement offre à la nation le tableau de la situation de la France pendant l'année, qui vient de s'écouler. Tout, au dedans et au dehors, a pris une face nouvelle ; et de quelque côté que portent les regards, s'ouvre une longue perspective d'espérance et de bonheur. 

Dans l'ouest et dans le midi, des restes de brigands infestaient les routes et désolaient les campagnes, invisibles à la force armée qui les poursuivait, ou protégés contre elle par la terreur même qu’ils inspiraient à leurs victimes, jusqu’au sein des tribunaux, si quelquefois ils y étaient traduits, leur audace glaçait d'effroi les accusateurs et les témoins, les jurés et les juges. Des mains de la justice, ces monstres impunis s'élançaient à de nouveaux forfaits.

II fallait, contre ce fléau destructeur de toute société, d’autres armes que les formes lentes et graduées avec lesquelles la vindicte publique poursuit des coupables isolés qui se cachent dans le silence et dans l'ombre.

Des tribunaux spéciaux ont été créés, dont l'action plus rapide et plus sûre pût les atteindre et les frapper. De grands coupables ont été saisis ; les témoins ont cessé d'être muets ;  les juges ont obéi à leur conscience, et la société a été vengée.

Ceux qui ont échappé à la justice, fuient désormais de repaire en repaire ; et chaque jour la République vomit de son sein cette dernière écume des vagues qui l'ont si longtemps agitée.

Cependant l'innocence n'a eu rien à redouter; le sécurité des citoyens n'a point été alarmée des mesures destinées à punir leurs oppresseurs; et les sinistres présages dont on avait voulu épouvanter la liberté, ne se sont réalisés que contre le crime.

Du mois de floréal an IX jusqu'au 1er vendémiaire cent vingt-quatre jugements ont été prononcés par les tribunaux spéciaux : dix-neuf seulement ont été rejetés par le tribunal de cassation, à raison d'incompétence. On ne peut donc leur reprocher ni excès de pouvoir, ni invasion de la justice ordinaire.

Le Gouvernement, dès les premiers jours de son institution, proclama la liberté des consciences. Cet acte solennel porta le calme dans des âmes que des rigueurs imprudentes avaient effarouchées. Il a depuis annoncé la fin des dissensions religieuses ; et en effet, des mesures ont été concertées avec le souverain Pontife de l'Église catholique, pour réunir dans les mêmes sentiments ceux qui professent une commune croyance. En même temps, un magistrat chargé de tout ce qui concerne les cultes, s’est occupé des droits de tous. Il a recueilli, dans des conférences avec des ministres luthériens et calvinistes , les lumières nécessaires pour préparer les règlements qui. assureront a tous la liberté qui leur appartient, et la publicité que l'intérêt de l'ordre social autorise à leur accorder.

Des mesures égales pourvoiront à l'entretien de tous les cultes ; rien ne sera laissé à la disposition arbitraire de leurs ministres, et le trésor public n'en sentira point de surcharge.

Si quelques citoyens avaient été alarmés par de vaines rumeurs, qu'ils se rassurent: le Gouvernement a tout fait pour rapprocher les esprits; mais il n'a rien fait qui pût blesser les principes et l'indépendance des opinions.

La paix continentale fixa ce qui restait encore d'inquiétude et de craintes vagues dans les esprits. Déjà, heureux de tout le bonheur qu'ils attendaient encore, les citoyens se reposèrent au sein de la Constitution, et y attachèrent toute leur destinée.

Des administrateurs éclairés et fidèles ont bien secondé cette disposition des esprits ; presque partout l'action de l’autorité, transmise par eux, n'a rencontré qu'empressement, amour et reconnaissance.

De là, dans le Gouvernement, cette sécurité qui a fait sa force. Il n'a pas plus douté de l'opinion publique que de ses propres sentiment , et il a osé la provoquer sans craindre sa réponse.

Ainsi, un prince issu d'un sang qui régna sur la France, a traversé nos départements, a séjourné dans la capitale, a reçu du Gouvernement les honneurs qui étaient dus à sa couronne, a reçu des citoyens tous les égards qu'un peuple doit à un autre peuple dans la personne de celui qui est appelé à le gouverner, et aucun soupçon n'a altéré le calme du commandement, aucune rumeur n’a troublé la tranquillité des esprits ; partout on a vu la contenance d’un peuple libre et les affections d’un peuple hospitalier : les étrangers, les ennemis de la patrie ont reconnu que la république était dans le cœur des Français, et qu'elle y avait déjà toute la maturité des siècles.

La rentrée de nos guerriers sur le territoire de la France, a été une suite de fêtes et de triomphes. Ces vainqueurs si redoutés dans les combats, ont été parmi nous des amis et des frères ; heureux du bonheur public, jouissant sans orgueil de la

reconnaissance qu'ils avaient méritée, et se montrant, par la plus sévère discipline, dignes des victoires qu’ils avaient obtenues.

Dans la guerre qui nous restait encore à soutenir, les événements ont été mêlés de succès et de revers. Réduite à lutter contre la marine d’Angleterre avec des forces inégales, notre marine s'est montrée avec courage sur la Méditerranée couverte de flottes ennemies ; elle a rappelé sur l’Océan quelques souvenirs de son ancien éclat ; elle a, par une glorieuse résistance, étonné l’Angleterre, accourue sur ses rives pour être  témoin de sa défaite ; et sans le retour de la paix, il lui était permis d'espérer qu'elle vengerait les malheurs passés et les fautes qui les avaient produits.

En Égypte, les soldats de l'armée d'Orient ont cédé ; mais ils ont cédé aux circonstances plus qu'aux forces de 1a Turquie et de l'Angleterre ; et certainement ils eussent vaincu s'ils avaient combattu réunis. Enfin ils rentrent dans leur patrie: ils y rentrent avec la gloire qui est due à quatre années de courage et de travaux ; ils laissent à l'Egypte d'immortels souvenirs, qui, peut-être un jour y réveilleront les arts et les institutions sociales. L'histoire, du moins, ne taira pas ce qu'ont fait les Français pour y reporter la civilisation et les connaissances de l'Europe : elle dira par quels efforts ils l'avaient conquise ; par quelle sagesse, par quelle discipline ils l'ont si longtemps conservée ; et, peut-être, elle en déplorera la perte comme une nouvelle calamité du genre humain. Vingt-huit mille Français entrèrent en Egypte pour la conquérir; d'autres y ont été depuis envoyés à différentes époques ; mais d'autres, en nombre à peu près égal, en étaient revenus. Vingt-trois mille rentrent en France après l'évacuation, non compris les étrangers qui ont suivi leur fortune. Ainsi, quatre campagnes, de nombreux combats, et les maladies, n’auront pas enlevé un cinquième de 1’Armée d'Orient.

Après la guerre continentale, tout ce que les circonstances ont permis de réformes dans le militaire, le Gouvernement les a opérées.

Des congés absolus sont accordés ; ils le sont sans préférence, sans faveur, et dans un ordre irrévocablement fixé. Ceux qui les premiers ont pris les armes pour obéir aux lois de la réquisition en obtiennent les premiers.

Pour remplir le vide que ces congés laisseront dans l’armée, il sera nécessaire d’appeler des conscrits de 1’an IX et de l’an X ; et,  dans cette session, un projet de loi sera proposé au Corps législatif pour les mettre a la disposition du Gouvernement : mais le Gouvernement n'en appellera que le nombre qui sera strictement nécessaire pour maintenir l'armée au complet de l'état de paix.

Nous jouirons de la paix ; mais la guerre nous laissera un fardeau qui pèsera longtemps sur nos finances : acquitter des dépenses qui n'ont pu être prévues ni calculées, récompenser les services de nos défenseurs, ranimer les travaux dans nos arsenaux et dans nos ports, rendre une marine a la France,  recréer tout ce que la guerre a détruit, tout ce que  le temps a consumé, porter enfin tous nos établissements au point  où les demandent la grandeur et la sûreté de la République ; tout cela ne peut se faire qu’avec un accroissement de revenus. Les revenus s'accroitront d'eux-mêmes avec la paix ; le Gouvernement les ménagera avec la plus sévère économie : mais si  l'accroissement naturel des revenus, si l'économie la plus sévère ne peuvent suffire, la nation jugera les besoins, et le  Gouvernement proposera les ressources que les circonstances rendront nécessaires. Dans tout le cours de l'an IX , à peine quelques communications rares ont existé entre la métropole et ses colonies. La Guadeloupe a conservé un reste de culture et de prospérité ; mais la souveraineté de la République y a reçu plus d’un outrage. En l'an VIII un agent unique y commandait ; il est déporté par une faction. Trois agents lui succèdent ; deux déportent le troisième, et le remplacent par un homme de leur choix. Un autre meurt ; et les deux qui restent, s’investissent seuls du pouvoir qui devait être exercé par trois. Sous cette agence mutilée et illégale, l'anarchie, le despotisme, règnent tour à tour ; les colons, les alliés l'accusent et lui imputent des erreurs et des crimes. Le Gouvernement a tenté d'organiser une administration nouvelle ; un capitaine général, un préfet, un commissaire de justice, subordonnés entre eux, mais se succédant l’un à l’autre, si les circonstances l'exigent, offrent un pouvoir unque, qui a une sorte de censure, mais point de rivalité qui en trouble l'action et en paralyse la force. Cette administration existe ; et bientôt on saura si elle  a justifié les espérances qu'on en avait conçues.

Dès son arrivée, le capitaine général a eu à combattre l’esprit de faction : il a cru devoir envoyer en France treize individus artisans de troubles et moteurs des déportations.

Le Gouvernement a pensé ,que de pareils hommes seraient dangereux en France, et a ordonné qu'ils fussent renvoyés  dans celle des colonies qu’ils voudraient choisir, la Guadeloupe exceptée.

A Saint-Domingue, des actes. irréguliers ont alarmé la soumission. Sous des apparences équivoques, le gouvernement n’a voulu voir que l’ignorance qui confond les noms et les choses, qui usurpe quand elle ne croit qu'obéir: mais une flotte et une armée qui s’apprêtent à partir des ports de l'Europe, auront bientôt dissipé tous les nuages ; et Saint-Domingue rentrera toute entière sous les lois de la République.

A Saint-Domingue et à la Guadeloupe il n'est plus d'esclaves ; tout y est libre, tout y restera libre.

La sagesse et le temps y ramèneront l'ordre, et y rétabliront la culture et les travaux. A la Martinique, ce seront des principes différents. La Martinique a conservé l’esclavage, et l’esclavage y sera conservé. Il en a trop coûté à l'humanité pour tenter encore dans cette partie une révolution nouvelle.

La Guiane a prospéré sous un administrateur actif et vigoureux; elle prospérera davantage sous l'empire de la paix, et  agrandie d'un nouveau territoire qui appelle la culture et promet des richesses.

Les îles de France et de la Réunion sont restées fidèles à la métropole, au milieu des factions, et sous une administration faible, incertaine, telle que le hasard l'a faite, et qui n'a reçu du Gouvernement ni impulsion, ni secours. Ces colonies si importantes sont rassurées ; elles ne craignent plus que la métropole en donnant la liberté aux noirs ne constitue l'esclavage des blancs.

L'ordre établi, dès l'année dernière, dans la perception des revenus et dans la distribution des dépenses, n'avait laissé que peu d'améliorations à faire dans cette partie. Une surveillance active a porté la lumière sur des dilapidations passées et sur des abus présents : des coupables ont été dénoncés à l'opinion publique et aux tribunaux.

L:action des régies a été concentrée ; et de là,  plus d'énergie et d’ensemble dans l'administration, plus de célérité dans les informations et dans les résultats.

Des mesures ont été prises pour accélérer encore les versements dans les caisses publiques, pour assurer plus de régularité dans l'acquittement des dépenses, pour en rendre la comptabilité plus simple et plus active.

L'art des faussaires a fait des progrès alarmants pour la société. Avec des pièces fausses on établissait des fournitures qui n'avaient jamais été faites ; on en établissait sur des pièces achetées à Paris ; et avec ces titres on trompait les liquidateurs et on dévorait la fortune publique. Pour prévenir désormais ces abus et ces crimes, le Gouvernement a voulu que les liquidations faites dans les bureaux des ministres fussent soumises a une nouvelle épreuve , et ne constituassent la République débitrice, qu'après qu'elles auraient été vérifiées dans un conseil d'administration.

Le ministre des finances est rendu tout entier aux travaux qu'exigent la perception des revenus et le système de nos contributions.

Un autre veille immédiatement sur le dépôt de la fortune publique et sa responsabilité personnelle en garantit l'inviolabilité.

La caisse d'amortissement a reçu une organisation plus complète. Un seul homme en dirige les mouvements ; mais quatre administrateurs en surveillent les détails ; conseils, et , s'il le fallait, censeurs de l'agent qu'ils doivent seconder.

La propriété la plus précieuse de la République , les forêts nationales ont été confiées à une administration qui, toute entière à cet objet unique, y portera des yeux plus exercés, des connaissances plus positives , et une surveillance plus sévère.

L'instruction publique a fait quelques pas à Paris , et dans un petit nombre de départements ; dans presque tous les autres, elle est ou languissante ou nulle. Si nous ne sortons pas de la route tracée, bientôt il n'y aura de lumières que sur quelques points, et ailleurs ignorance et barbarie.

Un système d'instruction publique plus concentré a fixé les pensées du Gouvernement. Des écoles primaires affectées à une ou plusieurs communes, si les circonstances locales permettent cette association, offriront partout aux enfants des citoyens, ces connaissances élémentaires sans lesquelles l'homme n'est guère qu'un agent aveugle et dépendant de tout ce qui l'environne.

Les instituteurs y auront un traitement fixe fourni par les Communes, et un traitement variable formé de rétributions convenues avec les parents qui seront en état de les supporter.

Quelques fonctions utiles pourront être assignées à ces instituteurs , si elles peuvent se concilier avec leur fonction première et nécessaire.

Dans des écoles secondaires, s'enseigneront les éléments des langues anciennes, de la géographie, de l'histoire et du calcul.

Ces écoles se formeront ou par des entreprises particulières avouées de l'administration publique, ou par le concours des communes.

Elles seront encouragées par des concessions d'édifices publics ; par des places gratuites dans les écoles supérieures, et par des gratifications accordées aux élèves qui se seront le plus distingués ; et enfin, par des gratifications accordées à un nombre déterminé de professeurs qui auront fourni le plus d'élèves aux écoles supérieures.

Trente écoles, sous le nom de Lycées , seront formées et entretenues aux dépens de la République, dans les villes principales qui , par leur situation et les mœurs de leurs  habitants seront plus favorables à l'étude des lettres et des sciences.

Là seront enseignées les langues savantes, la géographie, l’histoire, la logique, la physique, la géométrie, les mathématiques ; dans quelques-unes les langues modernes dont l'usage sera indiqué par leur situation.

Six mille élèves de la patrie seront distribués dans ces trente établissements, entretenus et instruits aux dépens de la République.

Trois mille seront des enfants de militaires ou de fonctionnaires, qui auront bien servi l'État.

Trois mille autres seront choisis dans les écoles secondaires, d'après des examens et des concours déterminés, et dans un nombre proportionné à la population des départements qui devront les fournir.

Les élèves des départements réunis seront appelés dans les lycées de l'intérieur, s'y formeront à nos habitudes et à nos mœurs, s'y nourriront de nos maximes, et reporteront dans leurs familles l'amour de nos institutions et de nos lois.

D'autres élèves y seront reçus, entretenus et instruits aux frais de leurs parents.

Six millions seront destinés chaque année à la formation et à l'entretien de ces établissements, à l'entretien et à l'instruction des élèves de la patrie, au traitement des professeurs, au traitement des directeurs et des agents comptables.

Les écoles spéciales formeront le dernier degré d'instruction publique : il en est qui sont déjà constituées, et qui conserveront leur organisation ; d'autres seront établies dans les lieux que les convenances indiqueront, et pour les professions auxquelles elles seront nécessaires.

Tel est, en raccourci, le système qui a paru au Gouvernement réunir le plus d'avantages, le plus de chances de succès, et que, dans cette session, il proposera au Corps législatif, réduit en projet de loi. Sa surveillance peut suffire à trente établissements; un plus grand nombre échapperait à ses soins et à ses regards : mais surtout un plus grand nombre ne trouverait aujourd'hui ni ces professeurs distingués qui font la réputation des écoles, ni des directeurs capables d'y maintenir une sévère discipline, ni des conseils assez éclairés pour en diriger l'administration.

Trente lycées, sagement distribués sur le territoire de la République, en embrasseront toute l'étendue par leurs rapports, répandront sur toutes ses parties l'éclat de leurs lumières et de leurs succès , frapperont jusqu'aux regards de l'étranger, et seront pour eux ce qu'étaient naguère pour nous quelques écoles célèbres d'Allemagne et d'Angleterre, ce que furent quelques Universités fameuses qui, vues dans le lointain, commandaient l'admiration et le respect de l'Europe.

Le Code civil fut annoncé l'année dernière aux délibérations du Corps législatif ; mais le travail s'accrut sous la main des rédacteurs : les tribunaux furent appelés à le perfectionner ; et enrichi de leurs observations, il est soumis dans le conseil d'état à une sévère discussion.

Toutes les parties qui le composent, seront successivement présentées à la sanction des législateurs : ainsi , cet important ouvrage aura subi toutes les épreuves, et sera le résultat de toutes les lumières.

Les ateliers se multiplient dans les maisons d'arrêt et de détention, et le travail en bannit l'oisiveté, qui corrompt encore ceux qui étaient déjà corrompus. Dans nombre de départements il n’y a plus de mendicité.

Les hospices sortent peu à peu de cet état de détresse qui faisait la honte de la nation et la douleur du Gouvernement : déjà la bienfaisance particulière les enrichit de ses offrandes , et atteste le retour de ces sentiments fraternels que des lois imprudentes et de longs malheurs semblaient avoir bannis pour toujours.

Sur toutes les grandes communications, les routes ont été ou seront bientôt réparées. Le produit de la taxe d'entretien éprouve partout des accroissements progressifs. Le plus intéressant de tous les canaux est creusé aux dépens du trésor public, d'autres seront bientôt créés par l'industrie particulière.

Les lettres et les arts ont reçu tout ce que les circonstances ont permis de leur donner d'encouragement et de secours.

Des projets ont été conçus pour l'embellissement de Paris, et déjà quelques-uns s'exécutent. Une association particulière formée  par le zèle bien plus que par l'intérêt, lui construit des ponts qui ouvriront des communications utiles ou nécessaires. Une autre association lui donnera un canal et des eaux salubres qui manquent encore à cette capitale.

Les départements ne seront point négligés. De tous côtés on recherche quels travaux sont nécessaires pour les orner ou les féconder. Des collections de tableaux sont destinées à former des muséum dans les villes principales ; leur vue inspirera aux jeunes citoyens le goût des arts , et ils arrêteront la curiosité des voyageurs.

Au moment où la paix générale va rendre aux arts et au commerce toute leur activité, le devoir le plus cher au Gouvernement est d'éclairer leur route, d'encourager leurs travaux, d'écarter tout ce qui pourrait arrêter leur essor. Il appellera sur ces grands intérêts toutes les lumières ; il réclamera tous les conseils de l'expérience ; il fixera auprès de lui, pour les consulter, les hommes qui  par des connaissances positives, par une probité sévère, par des vues désintéressées, seront dignes de sa confiance et de  l'estime publique.

Heureux si le génie national seconde son ardeur et son zèle ; si, par ses soins, la prospérité de la République égale un jour ses triomphes et sa gloire.

Dans nos relations extérieures, le Gouvernement ne craindra point de dévoiler ses principes et ses maximes. Fidélité pour nos alliés, respect pour leur indépendance, franchise et loyauté avec nos ennemis : telle a été sa politique.

La Batavie reprochait à son organisation de n'avoir pas été conçue pour elle.

Mais depuis plusieurs années cette organisation régissait la Batavie. Le principe du Gouvernement est que rien n'est plus funeste au bonheur des peuples que l'instabilité de leurs institutions ; et quand le Directoire batave l'a pressenti sur des changements , il l'a constamment rappelé à ce principe.

Mais enfin le peuple batave a voulu changer, et il a adopté une Constitution nouvelle. Le Gouvernement l'a reconnue cette Constitution ; et il a dû la reconnaître, parce qu'elle était dans la volonté d'un peuple indépendant.

Vingt-cinq mille Français devaient rester en Batavie, aux termes du traité de la Haye, jusqu'à la paix générale. Les Bataves ont désiré que ces forces fussent réduites ; et en vertu d'une convention récente, elles ont été réduites à dix mille hommes.

L'Helvétie a donné, pendant l'an IX, le spectacle d'un peuple déchiré par les partis, et chacun de ces partis invoquant le pouvoir et quelquefois les armes de la France.

Nos troupes ont reçu l'ordre de rentrer sur notre territoire : quatre mille hommes seulement restent encore en Helvétie, d’après le vœu de toutes les autorités locales, qui ont réclamé leur présence.

Souvent l'Helvétie a soumis au premier Consul des projets d'organisation ; souvent elle lui a demandé des conseils : toujours il l'a rappelée à son indépendance.

«Souvenez-vous seulement , a-t-il dit quelquefois, du courage et des vertus de vos pères ; ayez une organisation simple comme leurs moeurs.

« Songez a ces religions, à ces langues différentes qui ont leurs limites marquées , a ces vallées, à ces montagnes qui vous séparent , à tant de souvenirs attachés à ces bornes naturelles ; et qu'il reste de tout cela une empreinte dans votre organisation. Surtout, pour l'exemple des peuples de l'Europe, conservez la liberté et l'égalité à cette nation qui leur a, la première, appris à être indépendants et libres. »

Ce n'étaient là que des conseils, et ils ont été froidement écoutés. L'Helvétie est restée sans pilote au milieu des orages. Le ministre de la République n'a montré qu'un conciliateur aux partis divisés, et le général de nos troupes a refusé aux factions l'appui de ses forces.

La Cisalpine , la Ligurie, ont enfin arrêté leur organisation : l'une et l'autre craignent, dans les mouvements des premières nominations, le réveil des rivalités et des haines. Elles ont paru désirer que le premier Consul se chargeât de ces nominations. Il tâchera de concilier ce vœu de deux Républiques qui sont chères à la France, avec les fonctions plus sacrées que sa place lui impose.

Lucques a expié dans les angoisses d'un régime provisoire, les erreurs qui lui méritèrent l'indignation du peuple français. Elle s’occupe aujourd'hui à se donner une organisation définitive.

Le roi de Toscane, tranquille sur son trône, est reconnu par de grandes puissances et le sera bientôt par toutes.

Quatre mille Français lui gardent Livourne, et attendent, pour l'évacuer , qu'il ait organisé une armée nationale.

Le Piémont forme notre 27e division militaire, et, sous un régime plus doux, oublie les malheurs d'une longue anarchie.

Le Saint-Père, souverain de Rome, possède ses états dans leur intégrité. Les places de Pesaro, de Fano, de Castel-San-Leone, qui avaient été occupées par les troupes cisalpines, lui ont été restituées.

Quinze cents Français sont encore dans la citadelle d'Ancone pour en assurer les communications avec l'armée du Midi.

Après la paix de Lunéville, la France pouvait tomber de tout son poids sur le royaume de Naples, punir le souverain d'avoir le premier rompu les traités, et le faire repentir des affronts que les Français avaient reçus dans le port même de Naples : mais le Gouvernement se crut vengé dès qu'il fut maître de l'être, il ne sentit plus que le désir et la nécessité de la paix ; pour la donner, il ne demanda que les ports d'Otrante, nécessaires a ses dessein sur l'Orient, depuis que Malte était occupée par les Anglais.

Paul Ier avait aimé la France ; il voulait la paix de l'Europe ; il voulait surtout la liberté des mers ; sa grande âme fut émue des sentiments pacifiques que le premier Consul avait manifestés ; elle le fut depuis de nos succès et de nos victoires : de là, de premiers liens qui l'attachèrent à la République.

Huit mille Russes avaient été faits prisonniers en combattant avec les alliés ; mais le ministère qui dirigeait alors l'Angleterre avait refusé de les échanger contre des prisonniers français. Le Gouvernement s'indigna de ce refus ; il résolut de rendre à leur patrie ces braves guerriers abandonnés de leurs alliés ; il les rendit d'une manière digne de la République, digne d'eux et de leur souverain : de là des nœuds plus étroits et un rapprochement plus intime.

Tout-à-coup la Russie, le Danemarck, la Suède, la Prusse s'unissent ; une coalition est formée pour garantir la liberté des mers ; le Hanovre est occupé par les troupes prussiennes ; de grandes , de vastes opérations se préparent : mais Paul Ier meurt subitement.

La Bavière s'est hâtée de reformer les liens qui l'unissaient à la France. Cet allié important pour nous a fait de grandes pertes sur la rive gauche du Rhin : l'intérêt et le désir de la France sont que la Bavière obtienne sur la rive droite une juste et entière indemnité.

De grandes discussions se sont élevées à Ratisbonne sur l'exécution du traité de Lunéville ; mais ces discussions ne regardent pas immédiatement la République. La paix de Lunéville, conclue avec l'Empire et ratifiée par la diète, a fixé irrévocablement de ce côté-là tous les intérêts de la France. Si la République prend encore part aux discussions de Ratisbonne, ce n'est que comme garant des stipulations contenues dans l'article VII du traité de Lunéville et pour maintenir un juste équilibre dans la Germanie.

La paix avec la Russie a été signée ; et rien ne troublera désormais les relations de deux grands peuples qui , avec tant de raisons de s'aimer, n'en ont aucune de se craindre, et que la nature a placés aux deux extrémités de l'Europe pour être le contre-poids du Nord et du Midi.

La Porte, rendue à ses véritables intérêts et à son inclination pour la France, a retrouvé son allié le plus ancien et le plus fidèle.

Avec les États-Unis d'Amérique toutes les difficultés ont été aplanies.

Enfin des préliminaires de paix avec l'Angleterre ont été ratifiés.

La paix avec l'Angleterre devait être le produit de longues négociations, soutenues d'un système de guerre qui, quoique lent dans ses préparatifs , était infaillible dans ses résultats.

Déjà la plupart de ses alliés l'avaient abandonnée : le Hanovre, seule possession de son souverain sur le continent, était toujours au pouvoir de la Prusse ; la Porte, menacée par nos positions importantes sur l'Adriatique, avait entamé. une négociation particulière.

Le Portugal lui restait. Soumis depuis si longtemps à l'influence et au commerce exclusif des Anglais, le Portugal n'était plus en effet qu'une province de la Grande-Bretagne. C'était là que l'Espagne devait trouver une compensation pour la restitution de l'île de la Trinité. Son armée s'avance ; une division des troupes de la République campe sur la frontière du Portugal pour appuyer ses opérations. Mais après les premières hostilités et quelques légères escarmouches, le ministère espagnol ratifie séparément le traité de Badajoz. Dès-lors on dut pressentir pour l'Espagne la perte de 1a Trinité ; dès-lors, en effet, l'Angleterre la regarda comme une possession qui lui était acquise, et désormais écarta de la négociation tout ce qui pouvait en supposer la restitution possible.

Avant de ratifier le traité particulier de la France avec le Portugal, le Gouvernement fit connaître au cabinet de Madrid cette détermination de l'Angleterre.

L'Angleterre s'est refusée avec la même inflexibilité à la restitution de Ceylan. Mais la République batave trouvera dans les nombreuses possessions qui lui sont rendues, le rétablissement de son commerce et de sa puissance.

La France a soutenu les intérêts de ses alliés avec autant de force que les siens ; elle a été jusqu'à sacrifier des avantages plus grands qu'elle aurait pu obtenir pour elle-même : mais elle a été forcée de s'arrêter au point où toute négociation devenait impossible. Ses alliés épuisés ne lui offraient plus de ressources pour la continuation de la guerre ; et les objets dont la restitution leur était refusée par l’Angleterre, ne balançaient pas pour eux les chances d'une nouvelle campagne, et toutes les calamités dont elle pouvait les accabler.

Ainsi, dans toutes les parties du monde, la République n'a plus que des amis ou des alliés ; et partout son commerce et son industrie rentrent dans leurs canaux accoutumés.

Dans tout le cours de la négociation, le ministère actuel d'Angleterre a montré une volonté franche de mettre un terme aux malheurs de la guerre ; le peuple anglais a embrassé la paix avec enthousiasme; les haines de la rivalité sont éteinte ; il ne restera que l'émulation des grandes actions et des entreprises utiles.

Le Gouvernement avait mis son ambition à replacer la France dans ses rapports naturels avec toutes les nations ; il mettra sa gloire à maintenir son ouvrage, et a perpétuer une paix qui fera son bonheur comme celui de l'humanité.

Le premier Consul, signé BONAPARTE. Par le premier Consul : le secrétaire d'état, Signé HUGUES B. MARET. Le ministre de la justice, signé ABRIAL.

 

 

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